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quand c’est la foule qui le prononce. Les grands monopoles industriels et financiers étaient dans leur phase d’expansion, ils déversaient autour d’eux travaux et emplois, profits et salaires. Les paysans vendaient aisément leurs produits, et, grâce à l’affluence de l’or, en tiraient des prix inaccoutumés. Dans les multitudes profondes, où la prévoyance n’existe pas, où l’on vit au jour le jour de sensations instinctives, on était frappé de ces résultats, on les attribuait au régime nouveau. Les grandes majorités donnèrent leur démission politique en faisant au gouvernement personnel le crédit de leur confiance. C’était par exception que certains groupes clairsemés dans les grandes villes se préoccupaient des intérêts généraux. On trouvait là encore ces sentimens ardens et intenses qui, froissés par toute sorte de compression, exclus de toute pratique, s’idéalisaient et devenaient de la foi. Ces contrastes au sein de l’opinion expliquent les résultats électoraux de 1857. Le chiffre des inscrits, des votans et des abstentions[1] sont à peu près les mêmes qu’en 1852. Même nombre de voix pour les candidatures officielles. Les différences portent sur deux points : d’abord 271,782 voix sont données à des concurrens qui, sans être les candidats de l’empereur, comme on disait alors, se déclarent napoléoniens ; en second lieu, l’opposition à tendances démocratiques et républicaines, au lieu de 811,000 voix qu’elle avait recueillies au lendemain du coup d’état, n’en a plus que 571,000. C’est donc un échec pour elle ? Non, c’est le point de départ de sa revanche. Cette opposition, considérablement affaiblie par le faux système de l’abstention systématique, se concentre dans les grandes villes : elle y fait masse et agit avec ensemble. A Paris, elle réunit plus de 100,000 voix, et fait nommer d’emblée MM. Carnot, Goudchaux et Darimon ; le général Cavaignac et M. Emile Ollivier passent à un second tour de scrutin. A Lyon, M. Hénon est réélu. Avant l’ouverture de la session, le général Cavaignac est frappé de mort subite. M. Goudcbaux et M. Carnot refusent le serment. Ils sont remplacés par MM. Jules Favre et Picard. L’opposition légendaire des cinq est constituée.

Il y avait pour les départemens 257 députés à élire. Tous les députés sortans ayant été recommandés par le gouvernement, à l’exception de 7, ceux-ci furent docilement sacrifiés par les électeurs. M. de Montalembert était du nombre. 6 candidats extra-officiels, mais non pas hostiles, parvinrent à se faire nommer. En définitive, il ne surgissait en présence de la politique impériale que 5 adversaires décidés. Les journaux et la clientèle du gouvernement

  1. Électeurs inscrits, 9,495,955. — Votans, 6,136,664. — Abstentions, 3,359,291, plus de 35 pour 100. — Pour les candidats officiels, 5,200,101 ; — pour les indépendans dynastiques, 271,783 ; — pour l’opposition démocratique radicale, 571,859. — Voix perdues, 92,917. — Il y avait cette fois 267 députés à nommer.