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famille souveraine qui régna jadis sur la capitale dont nous nous préparions à explorer les ruines. Je vais dire ce qui reste de cette ville, autrefois célèbre, qui fut le centre d’un royaume assez important pour que van Diémen, gouverneur-général des Indes néerlandaises, jugeât utile d’y envoyer une ambassade dans la première moitié du XVIIe siècle.

Après avoir escaladé la haute berge à l’aide d’une échelle de bambous, nous nous trouvons en face de ces broussailles piquantes qui poussent toujours plus épaisses dans les ruines, voile jeté par la nature sur l’impuissance de l’homme et la vanité de ses œuvres. Un guide, courbé vers la terre par le poids de ses souvenirs et par celui des années, dirige avec émotion notre marche impatiente. Il a vu Vien-Chan, sa patrie, au temps de sa splendeur. — Le sol est jonché de briques. Nous ne tardons pas à rencontrer le mur d’enceinte de la ville. Il est élevé, très large et surmonté d’ornemens en forme de cœur rapprochés de façon à former des créneaux. Un énorme poteau de bois auquel attenait la porte principale est encore debout. La muraille qui aboutissait au fleuve s’enfonce sous les bambous en faisant une série d’angles saillans et rentrans. On voit encore de distance en distance des monceaux de briques qui furent probablement des bastions. Après de longues et minutieuses recherches, nous pûmes nous convaincre d’ailleurs que la ville ne renfermait d’autres monumens que le palais du roi, des pagodes et des bibliothèques pour les livres sacrés ; mais ces édifices y étaient en si grand nombre qu’il faut renoncer même à les compter. Tous paraissent avoir été construits sur le même plan et décorés des mêmes ornemens ; les proportions seules varient. La pagode de Phâ-kéo était assurément l’une des plus grandes et des plus belles. Les arbres qui la voilent, les lianes qui s’enlacent aux colonnes, et répandent sur ses débris une ombre mystérieuse, font ressentir au visiteur quelque chose de ce qu’éprouvait l’âme des anciens sur le seuil d’un bois sacré. Des briques à jour composent l’enceinte de la pagode, aux parvis de laquelle conduisent des escaliers monumentaux. Un dragon se tord sur les rampes, et dans un dernier repli relève sa tête menaçante. Les colonnes de la galerie sont gracieuses, élancées, sveltes, sans base, mais terminées par un chapiteau de feuilles longues, aiguës, repliées en dehors et comme écrasées par le poids qu’elles supportent. Ces colonnes conservent encore çà et là des traces de dorure. Les trois portes de la façade et les fenêtres des côtés sont richement encadrées d’ornemens analogues à ceux que j’ai vus à Phnom. Cet édifice considérable était entièrement doré à l’extérieur. Il n’a plus de toit, et la colossale statue de Bouddha qui siège encore sur l’autel abandonné reste exposée aux injures de l’air. Tout à côté du temple se trouve une