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bibliothèque construite dans le même style, mais moins spacieuse. Sur le fond noir des murs, les artistes avaient dessiné des losanges dorés ; ils produisent un peu l’effet de ces lambeaux de papier que l’on voit collés aux murailles dans les démolitions de Paris.

Phâ-kéo, — les indigènes ont religieusement conservé le nom des temples détruits, — était la pagode du palais. Celui-ci n’est plus qu’un amas de ruines couvrant encore une superficie considérable. D’après ce que nous avons pu distinguer et selon les renseignemens des témoins oculaires survivans, le plan de cet édifice ne s’éloignait pas sensiblement de celui des pagodes. C’était un bâtiment rectangulaire entouré d’une galerie soutenue par des colonnes. Une autre pagode, celle de Si-saket, est construite dans une cour intérieure autour de laquelle règne un cloître. Des statues de Bouddha assis sont alignées sous ce portique. Leur coiffure, terminée en pointe, ressemble au casque de nos anciens chevaliers, et, n’était la physionomie placide du dieu[1], on croirait entrer dans quelque musée d’armures. En outre les murailles du cloître, celles même de la pagode, sont percées de milliers de petites niches régulières dans chacune desquelles sont blottis deux ou trois Bouddha en miniature. Nous avons estimé à vingt mille environ le chiffre de ces petites effigies : c’est un vrai pigeonnier de dieux. Si-saket est le temple le mieux conservé ; on y rencontre encore un grand nombre d’objets employés dans les cérémonies du culte. J’ai admiré entre autres un petit chef-d’œuvre de sculpture sur bois. C’est une sorte d’écran auquel adhère une légère barre de fer destinée à porter les cierges qu’on allumait devant l’autel. Il se compose d’un cadre doré sur lequel des figures bizarres entremêlent leurs formes allégoriques. Deux serpens enlacent leurs anneaux, et sur ces détails touffus, dont le relief surprend et charme les yeux, deux bras se détachent pour soutenir le porte-cierge. Dans l’espace laissé vide au milieu de l’écran, une sorte de lyre mariant l’or et le jour produit le meilleur effet. Notons encore une chaire de ciment doré conservée dans une autre pagode. Sur un socle sculpté, orné de lions à têtes d’hommes, centaures d’un nouveau genre, viennent s’appuyer de légers arceaux qui supportent le toit. La place où se tenait le bonze pour lire des prières est dessinée par d’élégantes colonnettes. D’innombrables pyramides se cachent dans la forêt ; après les avoir à demi renversées, les arbres contribuent à les maintenir. La végétation naturelle s’allie admirablement à cette végétation de pierre ; les tons gris du ciment lui donnent l’aspect du granit assombri par l’air humide. Des milliers de kilogrammes de cuivre et de bronze

  1. Cette expression n’est pas d’une exactitude rigoureuse. Bouddha ne s’est jamais donné que comme un homme prêchant la perfection ; mais, en dépit de l’orthodoxie, il est bien tenu pour dieu par la foi populaire.