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coulés dans un moule à Bouddha, des monceaux de briques, des pagodes à l’infini, et au milieu de tout cela les vestiges d’une seule habitation profane, le palais du roi : voilà ce que j’ai vu pendant quelques heures de promenade rapide au milieu des ruines de Vien-Chan. Les habitans logeaient dans des cabanes, comme faisaient les Khmers ; mais il ne faut pas réveiller à propos de ces débris, qui sont après tout de médiocre valeur, les souvenirs de la grande architecture cambodgienne d’Angcor et de Vat-Phou, car ce serait se mettre dans le cas de ne plus rien admirer au Laos. Quand le général de Siam chassa le roi, celui-ci construisait encore ; aujourd’hui, quarante ans après, tout s’écroule, etiam periere ruinœ.

Une vaste chaussée, large, droite, plantée de vieux arbres et aboutissant à la porte principale, traverse des prairies marécageuses qui furent autrefois des fossés. Elle mène à un chemin sablonneux couvert d’un berceau de bambous. A chaque instant, l’on rencontre des vestiges de murailles indiquant l’emplacement d’anciennes pagodes ; les petites pyramides se multiplient. Le malheureux Laotien qui nous accompagne, tout tremblant de guider des étrangers dans ces lieux consacrés, s’incline souvent, se prosterne quelquefois, et s’épuise à prodiguer des marques de respect aux esprits protecteurs des ruines. Il fait un geste d’horreur en me voyant me diriger curieusement vers une niche enfouie dans les broussailles. « Là, me dit-il, réside un génie, Tepada ; il veut qu’on rampe en approchant de lui, et n’entend pas raillerie sur ce point d’étiquette. » Aucun malheur ne m’étant arrivé, je poursuis ma route jusqu’à un monument qui paraît avoir été l’œuvre capitale de cette architecture laotienne, dépourvue de grandeur comme de durée, mais à laquelle on ne peut refuser une certaine grâce élégante. Ce monument a été épargné par les Siamois. Les deux premières enceintes ne présentent rien de particulier. Au-dessous de la corniche qui décore la troisième court une guirlande d’ornemens ventrus. On dirait les pétales d’un gigantesque bouton de lotus sur le point de s’épanouir. De lourds socles couverts d’inscriptions supportent trente-quatre clochetons élancés. Appuyée à ces socles comme à des contre-forts, la masse sur laquelle est assise la pyramide commence à déployer ses courbes, et celle-ci s’élance elle-même d’une gerbe de larges feuilles, comme la tige d’une plante. Elle a la forme traditionnelle et se termine en pointe. Jadis elle étincelait d’or appliqué sur une armature de plomb dont on voit encore des lambeaux. Le ciment est bien conservé partout. Il a une teinte uniforme et plate qui fait illusion, et l’on est porté au premier abord à accorder au monument qu’il recouvre le bénéfice d’une haute antiquité. D’après une inscription gravée sur une table de pierre, il ne remonterait pas cependant au-delà du XVIIe siècle. Sans s’arrêter à une critique