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Ceux qui aujourd’hui condamnent le plus énergiquement le système du dualisme austro-hongrois, s’ils sont désintéressés dans la question, reconnaissent que M. le baron de Beust, en 1866, avait toute sorte de bonnes raisons pour faire ce qu’il a fait. M. de Beust était Allemand et préoccupé de l’Allemagne; n’était-ce pas déjà beaucoup que de faire accepter aux Allemands de l’Autriche le partage avec les Magyars? Ne fallait-il pas les accoutumer peu à peu à une transformation qui froissait leur amour-propre? De loin et à première vue, cette politique nous semblait excellente, parce que nous la considérions surtout comme l’ébauche d’une monarchie nouvelle, comme la promesse d’une restauration de l’état sur le fondement de la justice et de la vérité. Après le récit que nous avons donné des controverses de 1865, on ne s’étonnera pas que les Tchèques aient jeté les hauts cris. Ce qui était pour eux l’iniquité prévue, ce qu’ils avaient condamné d’avance avec tant de force venait d’être accompli. « Qu’on nous rende, disaient-ils, le régime de l’unité; si injuste qu’il fût, il était moins humiliant que le dualisme; nous n’avions qu’un ennemi autrefois, désormais nous en avons deux. Ce que vous appelez le dualisme austro-hongrois, c’est la coalition des Allemands et des Magyars contre les Slaves. » Et les vieilles antipathies, les ressentimens séculaires que-l’esprit de notre temps a mission d’effacer reparaissaient de plus belle.

À ce point de vue, les Tchèques n’avaient qu’une ligne à suivre; ils protestèrent. Une adresse votée le 25 février 1867 par la diète du royaume de Bohême déclara que la Bohême serait toujours prête à faire à l’unité et à la puissance de l’empire les sacrifices compatibles avec sa propre existence, mais qu’elle protesterait contre tous changemens du droit public auxquels elle n’aurait point coopéré. Que la Hongrie traite avec l’empire pour les choses qui intéressent la Hongrie, libre à elle; est-ce aux politiques magyars, est-ce à M. Deák de décider avec M. de Beust quels seront à l’avenir les rapports du royaume de Bohême et de la dynastie des Habsbourg? — Tel était le sens de cette adresse de la diète. Le baron de Beust répondit, comme c’était son droit, en faisant appel au pays, La diète de Bohême fut dissoute et de nouvelles élections eurent lieu, La loi électorale, établie par une administration allemande, est combinée, on le pense bien, de façon à favoriser l’élément germanique. Dans un pays où les deux tiers de la population appartiennent aux Slaves, les Allemands, grâce à de savans artifices, ont à nommer presque la moitié des représentans de la Bohême. Il y a en outre soixante-dix sièges réservés aux grands propriétaires du pays. Or, comme M. de Beust savait très bien que les députés tchèques, un peu plus nombreux que les députés allemands, condamneraient le système du