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tonomie bien chère à son cœur; ces « enfans de la forêt » répugnaient aux engagemens parafés et scellés, aux traités et aux parchemins; ils préféraient s’en rapporter à la « bonne foi, » au « bon sens, » à la tradition, jusque-là si efficace. « Il n’y avait pas de parchemins entre nous, disait l’un de leurs orateurs, à l’époque de Grunwald, et cela n’a pas empêché les Polonais et les Lithuaniens de mêler leur sang dans une défense commune et fraternelle. La fraternité n’a point besoin de parchemins pour exister!... » Pourquoi ne pas continuer de vivre comme on a déjà vécu si heureusement pendant deux siècles? Pourquoi ne pas s’en tenir à l’union personnelle et à deux représentations nationales distinctes dans les deux pays, sauf à se réunir en commun dans les momens critiques, notamment pour les élections des rois?... Sigismond-Auguste tint bon contre les assauts faits à son cœur, au nom de ses ancêtres, des souvenirs patriotiques du pays d’Olgerd et de Keystut : l’union personnelle, qui s’était montrée suffisante sous une dynastie héréditaire, devenait un expédient bien précaire et même un danger immense sous le régime d’une monarchie élective. Il y eut des déchiremens, des protestations, parfois des scènes émouvantes. Un jour, Chodkiewicz, le père du grand héros de Kircholm, tombait à genoux devant le chef de l’état en plein parlement : il suppliait le dernier des Jagellons de laisser au moins à la Lithuanie son sceau antique, le signe de sa souveraineté. « On ne se met à genoux que devant Dieu, » lui répondit Sigismond, et cette parole, sortant de la bouche d’un souverain, est bien curieuse à une époque où partout ailleurs le culte de la royauté touchait à l’idolâtrie. La royauté de Sigismond-Auguste, qui se passait de génuflexions, eut cependant assez de prestige pour vaincre toutes les résistances et subjuguer les volontés les plus récalcitrantes : pas un des sénateurs et des nonces ne refusa sa signature à l’acte final de la diète. Cet acte proclamait l’unité parlementaire des deux nations; Varsovie devait être désormais le siège de leurs assemblées législatives. De ce moment (11 août 1569) date l’annexion complète de la Lithuanie.

Annexion légitime et honnête s’il en fut jamais! Elle a été prononcée sous les auspices de la liberté après une épreuve loyale qui a duré près de deux siècles, qui a démontré la compatibilité des tempéramens, la communauté permanente des intérêts entre les deux associés, les profits immenses enfin que la chrétienté et la civilisation retiraient d’une combinaison politique inaugurée par le baptême de tout un peuple... Même alors pourtant, et l’annexion une fois consommée, la Pologne fut loin de vouloir détruire l’individualité historique du pays de Gédimin ; elle ne fit jamais la moindre tentative de le soumettre à cette centralisation absorbante qui est