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Déjà connu par d’excellens travaux historiques[1], M. Rebello da Silva pouvait mieux qu’un autre écrire l’histoire de l’agriculture de son pays. Grâce à lui, le Portugal aura ce qui manque encore à beaucoup d’états européens. Les notes placées au bas des pages montrent qu’il a pu consulter un nombre extraordinaire de documens. Suivant lui, les révolutions économiques du Portugal n’ont pas été tout à fait aussi grandes qu’on l’avait cru jusqu’ici. Quelques historiens ont dit que l’agriculture portugaise était au moyen âge presque aussi avancée que de nos jours; telle n’est pas son opinion. Tout en reconnaissant le bon gouvernement du roi Denis, surnommé le Laboureur (lavrador), il regarde comme des illusions les merveilles attribuées à l’administration de ce prince, qui vivait à la fin du XIIIe siècle. On avait porté à 4 millions le nombre des habitans du royaume sous le règne heureux de dom Manuel; il le réduit de plus de moitié. Peu favorable à l’ordre social de ces temps, il ne peut admettre que la féodalité militaire et religieuse ait pu se concilier avec un pareil développement de la population et de la culture.

Le caractère général de l’histoire du Portugal n’en est pas d’ailleurs changé. Il demeure toujours certain que ce royaume, s’il n’était pas tout à fait aussi peuplé qu’aujourd’hui, jouissait d’une grande prospérité relative dans les XIVe et XVe siècles, et qu’une décadence marquée a commencé pour lui avec le siècle suivant. La population en 1640 n’excédait pas, d’après M. Rebello da Silva, 1,200,000 âmes; elle avait diminué d’un tiers depuis dom Manuel. La monarchie a eu son premier siège au nord, dans le pays situé entre le Minho et le Douro; de là elle s’est étendue progressivement vers le midi, portant avec elle la colonisation. Quand la capitale eut été placée à l’embouchure du Tage, l’activité nationale se tourna vers l’Océan et négligea l’intérieur. La période des découvertes et des expéditions d’outre-mer a eu un éclat incomparable. Des richesses immenses affluaient à Lisbonne; mais sous ces magnifiques apparences se cachait un vice profond. Pendant que la capitale grandissait par le commerce maritime, l’émigration ruinait les provinces. La corruption des mœurs, fruit empoisonné des conquêtes asiatiques, attaquait la population dans sa source. Quand cette grande expansion coloniale vint à baisser par suite de la concurrence des autres peuples, la nation s’affaissa sur elle-même. Elle tomba sous la domination espagnole, qui acheva de l’épuiser.

Le Portugal a prouvé d’une manière frappante la vérité de ces paroles d’Adam Smith : « le capital acquis à un pays par le commerce n’est pour lui qu’une possession précaire et incertaine, tant qu’il n’en a pas réalisé une partie dans la culture de ses terres; les révolutions de la

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1866, Philippe II et le roi dom Antonio de Portugal, par M. Charles de Mazade.