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assurait l’ancien ministre d’état, il ne l’a pas remplacée par cette force collective qu’aurait pu lui donner une combinaison retrempée aux sources parlementaires. Que le ministère actuel se considère comme bien constitué et comme définitif, soit ; la confiance sied aux nouveau-venus, l’avenir appartient à tout le monde. M. de Forcade est certainement homme à défendre ses actes et à grandir sans doute dans un débat sur la politique intérieure ; mais, à dire vrai, on ne se rend pas bien compte de ce que pourra être ce cabinet dans une discussion sur les affaires étrangères où il aura en face de lui M. Thiers, M. Jules Favre. Le prince de La Tour-d’Auvergne est un ministre fort bien placé ; il lira un discours correct et mesuré ; malheureusement cela ne suffit plus. Au premier choc, tout s’écroulera, et on sera obligé de faire dans quelques mois ce qu’on aurait pu faire aujourd’hui, si on était entré sans ambiguïté d’esprit dans la situation nouvelle, avec la ferme volonté de faire sortir de la crise actuelle un ordre sincèrement libéral.

Il n’y a qu’un bonheur pour le gouvernement à l’heure où nous sommes, c’est que l’opposition en vérité ne semble pas mieux assurée que lui dans ses idées et dans ses résolutions. Le gouvernement a fait le message par entraînement, la prorogation sans trop s’en douter. L’opposition, quant à elle, a tout l’air de ne plus savoir ce qu’elle doit penser et ce qu’elle doit faire, si elle peut accepter le message du 12 juillet en se réservant d’en revendiquer toutes les conséquences, ou si elle est absolument tenue de repousser le « présent d’Artaxercès. » Au moment voulu, cela est bien clair, il lui a manqué une de ces inspirations qui rallient les esprits en traçant un plan de conduite. Le tiers-parti s’est retiré en envoyant un dernier salut à la politique résumée dans le projet d’interpellation des 116, et en se promettant de se retrouver à la prochaine session. De son côté, la gauche s’est réunie, elle a délibéré, elle n’a pas réussi à s’entendre sur les termes d’un manifeste collectif, ce qui était bien facile à prévoir, et depuis ce jour ce ne sont que manifestes individuels qui se succèdent. On rend ses comptes aux électeurs, on proteste, on fait des programmes à perte de vue. Dans tout cela, ce qui manque en général, c’est une idée pratique et un peu de cohérence. On reprendra son aplomb d’ici à quelque temps sans nul doute, on se ralliera sous le feu quand le jour des nouvelles batailles sera venu ; pour le moment, le désarroi est assez complet et tout à fait propre à tranquilliser le gouvernement.

Il ne manquait plus qu’un dernier coup pour achever la déroute de l’opposition ; c’est M. Gambetta qui s’est chargé de l’assener par son manifeste, à lui, qu’il envoie du fond de l’Allemagne. M. Gambetta n’y va pas de main légère, et on voit bien qu’il est tranquillement à Ems, refaisant sa santé, fort peu préoccupé d’ailleurs des détails secondaires de la politique ; il parle en dictateur, le jeune député de Marseille, Pour lui,