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quoi le proscrirait-on chez nous? C’est ainsi qu’on diminuera peu à peu ces grands entassemens d’internes, et que l’état, délivré d’une responsabilité trop lourde, laissant à la famille ou à ses délégués les soins délicats de l’éducation, auxquels il n’est pas propre, pourra se réduire à son rôle véritable, qui est de donner l’instruction à la jeunesse.

Sur cette réforme, qui ne touche encore qu’à la discipline des collèges, presque tout le monde est d’accord ; on ne s’entend plus dès qu’il s’agit des études. Il en est qu’à cet égard les préjugés entraînent à de bien étranges injustices. M. de Montalembert se donna un jour le plaisir de dire à la tribune que « l’instruction secondaire est non-seulement moindre en quantité qu’avant 1789[1], mais qu’elle est moindre en qualité, qu’elle est médiocre et misérable, que les lycées ressemblent à ces haras où l’on dresse quelques chevaux de course, et qu’enfin le résultat général de l’enseignement universitaire, c’est l’abâtardissement intellectuel de la race française. » Des violences pareilles attirent ordinairement d’autres violences. Un poète répondit en attaquant l’éducation qu’on reçoit chez les jésuites; c’est à elle qu’il renvoyait en beaux vers le reproche d’abâtardir la France.

O pauvres chers enfans qu’ont nourris de leur lait
Et qu’ont bercés nos femmes,
Ces blêmes oiseleurs ont pris dans leurs filets
Toutes vos douces âmes!

Si nous les laissons faire, on aura dans vingt ans
Sous les cieux que Dieu dore
Une France aux yeux ronds, aux regards clignotans
Qui haïra l’aurore !

Je ne me charge pas de dire lequel des deux tableaux est le plus vrai. — Éloignons-nous au plus vite de ces discussions emportées; il vaut mieux répondre aux raisons qu’aux injures.

On prétend que le niveau des études s’est fort abaissé depuis quelques années, que nous ne savons plus le latin ni le grec, que les jeunes gens sortent de nos collèges moins instruits et moins intelligens qu’autrefois. C’est l’opinion commune, et pourtant quelques raisons m’empêchent de croire le mal aussi grand qu’on le dit. Je remarque d’abord que ce reproche qu’on nous fait n’est pas nouveau; chaque génération qui finit l’adresse de bonne foi à la

  1. On a souvent prétendu que les collèges étaient plus fréquentés avant 1789 que de nos jours. C’est une erreur. La statistique de l’enseignement montre qu’en 1789, sur une population de 25 millions d’âmes, le nombre total des élèves était de 72,000, ce qui donne 1 élève sur 32 enfans. En 1865, sur une population de 37 millions d’habitans, on comptait 163,000 élèves dans les écoles secondaires, ce qui fait 1 élève sur 20 enfans.