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génération qui commence. Un proverbe grec disait que l’homme vieillit en apprenant; mais il ne se sent pas apprendre. La science lui vient peu à peu, chaque jour, presque sans qu’il s’en aperçoive. Le propre de cette instruction que donne la vie, c’est qu’on ne peut pas dire à quel moment on l’acquiert, et qu’il semble qu’on l’a toujours possédée. Quand plus tard on essaie de se rappeler ce qu’on savait à vingt ans, on ne parvient pas à se ramener exactement au passé, et l’on est toujours tenté de se faire plus savant qu’on ne l’était alors. N’est-il pas naturel qu’avec cette opinion avantageuse qu’on a de soi on juge sévèrement les jeunes gens qui sortent du lycée, et qu’on se plaigne que tout a dégénéré? Nous avons des preuves que ces plaintes ne sont pas tout à fait justes. Pour nous en tenir à l’instruction classique, qui paraît le plus en décadence, est-il-bien vrai, comme on le dit, qu’au siècle dernier on apprenait le latin beaucoup mieux qu’aujourd’hui? Je ne saurais rien affirmer pour les premières années du XVIIIe siècle, quoique le bon Rollin cite avec admiration des vers latins de ses élèves qui nous semblent assez médiocres ; mais à partir du moment où commence l’institution du concours général, la comparaison est possible. Nous avons conservé, par exemple, le discours latin de La Harpe, qui obtint le prix d’honneur. J’engage les curieux à le comparer à ceux qui sont couronnés tous les ans à la Sorbonne, et je crois bien que La Harpe ne paraîtra pas toujours le plus fort. Est-il plus juste de prétendre que nos études classiques soient très inférieures à celles des peuples voisins? Je ne le pense pas, au moins pour l’Angleterre. M. Demogeot a placé à la fin de son livre des devoirs d’élèves qu’il a copiés sur les cahiers d’honneur de quelques écoles anglaises; ils ne sont certainement pas supérieurs à ceux qu’on fait tous les jours dans les lycées de Paris.

Je ne veux pas dire pourtant qu’à partir de 18^8 les études classiques n’aient faibli dans nos lycées. Il s’agissait bien alors du grec et du latin! on criait tant dans la rue que le bruit en arrivait jusque dans les classes, et que le travail, qui a besoin de silence, en était troublé; puis vint la bifurcation, qui éloigna tant d’élèves de l’étude des langues anciennes. À ces causes passagères, dont heureusement les effets disparaissent tous les jours, il faut joindre des raisons permanentes auxquelles il est. plus difficile de remédier. La plus grave, selon M. de Laprade, c’est la fâcheuse habitude qu’on a prise de surcharger le programme des lycées.

Il est aujourd’hui encombré de sciences de toute sorte, et l’on exige tant des élèves que, forcés d’effleurer tout, ils finissent par ne rien savoir. On ne leur apprenait guère autrefois que le latin, — c’était l’âge d’or de l’enseignement. — Rollin voulut qu’on y joignît le français et qu’on donnât plus de temps au grec; la révolu-