Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il fallait dégager de cette période les années de mauvaise récolte, celles qui ont été traversées par la guerre, éprouvées par des excès de spéculation ou par l’effet contraire, celles encore, et c’est la situation où nous sommes depuis trois ans, qui ont eu à souffrir des inquiétudes politiques, il n’en resterait pour ainsi dire aucune dans des conditions normales. Cependant quelques économistes ont cru qu’on pouvait trouver dans les faits soumis à des influences si diverses l’indice d’une dépréciation continue des métaux précieux. M. Jevons, que nous avons déjà cité, est de ce nombre.

Il prend un certain nombre de marchandises (40) pour types, il en compare les prix de 1849 à ceux de l’époque actuelle, et, comme il trouve une différence en hausse de 18 pour 100, il en déduit que cette différence doit être attribuée à la dépréciation des métaux précieux, et qu’elle en marque le degré exact. Il y a dans cette manière de raisonner deux sources d’erreur. La première, c’est d’adopter l’année 1849 pour point de départ; cette année ne donne pas les prix d’une situation ordinaire. Dès 1853, la moyenne de ces prix sur les marchandises qui servent d’étalon à M. Jevons avait augmenté de plus de 20 pour 100 sur 1849; en 1854, l’élévation était de 30 pour 100. Dira-t-on que c’était déjà l’influence des métaux précieux qui se faisait sentir ? En 1853, il y avait quatre ans à peine que les mines de la Californie avaient été découvertes, un an tout au plus que celles de l’Australie étaient exploitées, et ces deux pays réunis avaient répandu dans le monde civilisé environ un milliard, 3 pour 100 de la quantité de numéraire qu’on possédait en 1848 ; ce n’était donc pas là ce qui pouvait avoir modifié les prix. Les métaux précieux, loin d’être alors trop abondans., étaient sensiblement au-dessous des besoins. On eut occasion de le voir par ce qui suivit. Ce fut à partir de cette époque que commencèrent à baisser dans tous les pays, particulièrement en Angleterre et en France, les encaisses métalliques qui s’étaient amassés pendant la période révolutionnaire, c’est-à-dire pendant la période d’inaction, et il fallut bientôt élever l’escompte à un chiffre qu’on n’avait pas connu depuis longtemps. On peut se souvenir même des plaintes du commerce sur la difficulté de se procurer du numéraire et des expédiens proposés pour y remédier. Ce n’était donc pas bien évidemment l’abondance des métaux précieux qui produisait alors l’élévation des prix, elle était due à une reprise sensible dans les affaires, et elle parut d’autant plus forte que tout avait été déprécié outre mesure pendant la période révolutionnaire. Il s’était produit aussi à ce moment ce qui arrive presque toujours en pareil cas, lorsque le réveil succède à une longue atonie : la spéculation s’en était mêlée et avait