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500,000 conscrits qu’il allait au printemps diriger sur Leipsig et sur Dresde ; il ne lui suffisait pas de dicter chaque jour pour son ministre de la guerre, le duc de Feltre, pour son ministre de la marine, M. Decrès, pour le commandant en chef de la grande armée, le prince Eugène, pour le comte Fontanelli, ministre de la guerre du royaume d’Italie, des instructions où les préparatifs militaires de la prochaine campagne étaient ordonnés avec la dernière précision et jusque dans les moindres détails. Il lui fallait diriger de la même manière les affaires qui relevaient de son ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu, et ordonner les démarches de ses évêques auprès du chef de la catholicité, comme il allait commander les manœuvres de ses généraux en face de l’ennemi. Bien plus, il entendait ne leur permettre d’employer pour exprimer leurs sentimens que des termes choisis d’avance, et qu’il prenait pour plus de sûreté la peine de placer lui-même dans leur bouche. Nous laisserons d’autres admirer, si cela leur convient, ces prodiges de volonté exubérante et d’infatuation personnelle. Suivant nous, la conduite de l’empereur péchait en cette occasion par un défaut essentiel : elle manquait surtout de bon sens. A dire toute notre pensée, nous ajouterions que, dans la lutte présentement engagée contre le pape. Napoléon a juste commis les mêmes erreurs qui allaient faire échouer sa prochaine campagne contre l’Europe coalisée.

Sa méprise consistait à ne pas se rendre compte de sa véritable situation, à vouloir obstinément persister dans l’emploi des moyens qui naguère avaient pu lui servir, quand son prestige n’était pas encore entamé, mais qui n’étaient plus de mise depuis que l’issue fatale de l’expédition de Russie avait porté, non-seulement à sa puissance, mais aussi à sa réputation, une si profonde atteinte. Les hommes de guerre compétens reconnaissent que les opérations militaires dont la Saxe fut le théâtre pendant l’été et l’automne de 1813 ne le cédèrent en rien à celles qui avaient si justement immortalisé son nom soit en Italie, soit en Autriche. Ils tombent d’accord que le génie du chef d’armée n’avait nullement baissé, ils proclament que ses conceptions stratégiques furent aussi brillantes que par le passé. Pourquoi donc les résultats furent-ils si différens? Comment les coups les mieux portés restèrent-ils presque toujours sans aucun effet? D’où vint qu’à Lutzen et à Bautzen ses victoires d’un moment lui profitèrent à peine? C’est que, fidèle aux orgueilleuses inspirations de sa jeunesse, il voulut toujours violenter la fortune, lassée maintenant de lui prodiguer ses faveurs. C’est que, habitué à renverser tous les obstacles, il poursuivait encore des projets outrés et chimériques, oubliant qu’ils n’étaient plus de saison, et qu’il avait cessé d’inspirer la même confiance à ses lieutenans et la même terreur à ses adversaires. Sur les champs de bataille comme