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dans les négociations de cabinet, le succès l’avait trop gâté. Il prétendait tirer des événemens devenus contraires à peu près le même parti qu’il avait fait autrefois des circonstances les plus favorables. De même qu’il entretenait pour son compte les superbes illusions des jours de la prospérité, il s’imaginait que ceux auxquels il avait présentement affaire avaient gardé les faciles complaisances et l’humble docilité d’autrefois. Pareil aveuglement ne pouvait manquer d’amener les plus amères déceptions. À Prague, Napoléon fut la dupe de la conviction légèrement formée que l’empereur d’Autriche et M. de Metternich finiraient par céder, et n’oseraient jamais prendre parti contre lui. La même infatuation l’entraînait dans les mêmes erremens à propos de ses démêlés avec le pape. Si l’empereur avait voulu croire à la sincérité, pourtant si frappante, des déclarations de Pie VII, s’il ne s’était pas exagéré l’ascendant qu’il était en état d’exercer sur les prélats de son empire, il se serait évité un premier déboire auquel beaucoup d’autres allaient bientôt succéder. Moins emporté par la passion, il eût deviné que le pontife qui venait de confesser son erreur avec tant d’ingénuité et de la réparer avec tant de courage n’était pas homme à tomber dans le piège assez grossier qui lui était tendu, et que les évêques français, un peu désenchantés, hésiteraient peut-être à accepter le rôle malséant qu’il leur avait audacieusement assigné. C’est ce qui arriva en effet ; jamais M. Bigot, quels que fussent ses efforts, ne put déterminer les cardinaux et les prélats de l’empire à tenter auprès du saint-père la démarche éclatante qu’avait désirée l’empereur.

Nous nous trompons. Quand un gouvernement incline vers sa chute, il trouve toujours des gens prêts à se compromettre pour lui. Ce sont ceux dont l’existence est étroitement liée avec la sienne, et qui auraient tout à perdre, s’il venait à succomber. Telle était la situation de Maury. Suffisamment endoctriné par Napoléon, l’archevêque de Paris se rendit à Fontainebleau le lundi 29 mars 1813. Il était censé venir de son propre mouvement offrir au pape son opinion sur le concordat. Pie VII lui dit d’abord qu’il arrivait un peu tard. Prenant ensuite le ton de la confidence, il lui remit à la fois l’allocution qu’il avait adressée aux cardinaux italiens le jour même de l’envoi de sa lettre à l’empereur et cette lettre elle-même en lui demandant son avis. Le cardinal Maury, qui ne voulait point avoir l’air de connaître déjà cette pièce, pria le saint-père de vouloir bien lui accorder jusqu’au lendemain afin de s’en mieux pénétrer. Le lendemain dès neuf heures, il était chez le cardinal Doria, où il rencontra les cardinaux Pacca et La Somaglia, et tout de suite il leur exposa ce qu’il allait dire à sa sainteté. Ces messieurs, au dire de Maury, en demeurèrent pétrifiés et ne surent rien répliquer. Peu de temps après, il était admis en présence du saint-père,