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Un second volume de lettres inédites, également tiré des archives de Vienne, nous donna dans le courant de 1866 la correspondance échangée entre Marie-Antoinette et ses frères. Plusieurs lettres de Louis XVI et de Mercy, datant des plus graves années, s’y ajoutaient. Pour la peinture des caractères, du long supplice subi par le roi et la reine, des pénibles efforts au milieu desquels ils se débattaient, pour tout le spectacle enfin de ce terrible drame, ce nouveau volume égalait ou même dépassait le premier. La correspondance avec Marie-Thérèse s’arrêtait à la mort de celle-ci, en 1780, tandis que la correspondance avec Léopold II, avec François II, avec Mercy, se continuait jusqu’en juillet 1792. Pour faire apprécier d’un mot l’importance de la seconde publication de M. d’Arneth, il suffit de rappeler que c’est ce second volume qui a révélé le terrible billet chiffré de la reine, en date du 26 mars 1792, informant Mercy, au commencement de la guerre, des mouvemens de nos troupes et des attaques décidées dans le précédent conseil. Nous ne voulons pas, en ravivant ce souvenir, présenter les livres de M. d’Arneth comme des actes d’accusation contre la reine : loin de là, recueillant toutes les parcelles de la réalité historique et morale, ils ont sur les publications antérieures l’incomparable avantage de les présenter pures de mélange, pures de commentaires et d’interprétations, et de mettre le lecteur en contact direct avec les personnages mêmes d’un drame si complexe ; ces documens imprévus nous font connaître enfin la vraie Marie-Antoinette, avec sa vive énergie, avec ses mérites bien supérieurs à ses fautes.

Le troisième recueil publié par M. d’Arneth en 1868 d’après les riches portefeuilles des archives viennoises nous a donné en trois forts volumes in-octavo la correspondance entre Marie-Thérèse et Joseph II. Déjà, nous avions pu mesurer par ses lettres à la jeune reine de France l’étrange domination que Marie-Thérèse prétendait exercer sur ses enfans. Elle mettait ainsi d’accord les intérêts de sa politique avec ceux de son affection jalouse et envahissante. Elle prétendait tenir dans ses mains tout à la fois la cour de Naples par la reine Caroline, celle du grand-duché de Toscane par son fils le grand-duc Léopold, celle de Parme par sa fille Marie-Amélie, celle de Bruxelles par sa fille bien-aimée Marie-Christine. Quant à Joseph II, elle paraissait ne l’avoir associé au pouvoir qu’à la condition de conserver en lui un docile organe de son action et de ses volontés. Les lettres de Marie-Thérèse montrent au grand jour sa haute intelligence ; mais, en dépit de maintes expressions de bonhomie toute germanique ou de tendresse vraiment affectueuse, l’esprit de domination exclusive qu’elles respirent fatigue à la fin et fait souhaiter une atmosphère plus libre. C’est Joseph II qui gagne le plus à la connaissance des nouveaux documens. Ce prince, qu’on représentait souvent comme une sorte de réformateur sceptique et léger, apparaît dans ses lettres sous des traits singulièrement dignes de sympathie et d’estime. Ce qu’on croyait distinguer chez lui d’insouciance et de