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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/203

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la faveur populaire. Ses façons, combinant la dignité royale avec la bonne grâce féminine, sa conversation éminemment variée de sujets et de ton, attiraient naturellement autour d’elle par un mélange inattendu d’enjouement et de sérieux. Une fine repartie ne lui manquait guère, une discussion métaphysique ne l’effrayait point. On pouvait même à la rigueur lui trouver (adoucis) les travers d’une Philaminte ou d’une Bélise en voyant à sa toilette le sermon de la veille discuté en même temps que les atours du lendemain, les théologiens pêle-mêle avec les gens de cour, les philosophes exposant leurs idées aux belles dames de la maison royale, un madrigal de Stephen Duck posé sur une lettre de Leibniz ou un éloge emphatique de la reine pompeusement rédigé par le docteur Clarke (celui que Voltaire appelle quelque part un moulin à raisonnemens). Elle aimait surtout à mettre aux prises deux savans prélats, et, se mêlant à leurs controverses, elle laissait aisément entrevoir, du moins on l’assure, une grande incertitude en matière de dogmes. Par le fait cependant, son appui ne fut jamais donné qu’à des prêtres de grand savoir et de haute vertu. Le mérite l’attirait toujours, même chez ses ennemis. L’historien Carte, lord Lansdowne le poète, tous deux jacobites zélés, lui durent la fin de leur exil, et ce dernier lui témoigna sa gratitude en reprenant de plus belle le cours de ses manœuvres en faveur du prétendant… Sans en faire semblant, sans affecter la moindre autorité, on peut dire que dix années durant elle gouverna le royaume[1]. »

Telle était la princesse auprès de qui fut placée, comme dame d’honneur, la femme du lord-chancelier, la comtesse Cowper, dont le journal va maintenant nous servir à étudier avec quelque détail la cour de George Ier. Ce journal paraît avoir été tenu pendant plusieurs années consécutives, de 1714 à 1721 tout au moins. On n’en possède toutefois que deux fragmens. L’un nous mène du 20 octobre 1714 aux premiers jours de novembre 1716 ; l’autre, moins régulièrement suivi, du 9 avril au 5 juillet 1720. Le début nous reporte au couronnement du premier des Brunswick et à la promotion de lady Cowper comme dame du palais. Quelques détails sur lord et lady Cowper sont le complément nécessaire de l’espèce d’introduction que nous avons crue indispensable à la parfaite intelligence de ces curieux mémoires.

Comme beaucoup d’autres magistrats et d’hommes d’état fort distingués, lord Cowper n’a pas pris dans l’histoire une place égale à celle que lui firent ses contemporains dans le maniement des affaires publiques. Au commencement du XVIIIe siècle, il marchait de pair avec les plus grands personnages de son temps et de son pays,

  1. Lord Mahon, Histoire d’Angleterre de la paix d’Utrecht à celle d’Aix-la-Chapelle.