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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

presque lui faire le même reproche, quoique l’on sache que ce ferme esprit ne pèche point par la timidité. Ici il n’a pas osé dire toute sa pensée, c’est que la philosophie spiritualiste est aussi impuissante que les autres. J’aurais voulu, je l’avoue, le voir aller jusque-là ; j’aurais voulu le voir réfuter les preuves de l’existence de Dieu données dans les écoles spiritualistes, les preuves de la Providence données par Socrate et Platon, la justification de la Providence dans Leibniz et dans Malebranche, les raisons en faveur de la vie future développées dans le Phédon. Il eût été étrange de voir M. Guizot engager une telle polémique, et jouer, ne fût-ce qu’un moment, le jeu des athées. Cependant non-seulement cela eût été conséquent, mais c’était même nécessaire pour justifier la thèse générale de l’impuissance scientifique et démonstrative de la philosophie ; s’il y a en effet quelque part de bonnes preuves de Dieu, de la Providence et de la vie future, pourquoi dire qu’il n’y a pas de science de l’infini ? »

J’aurais été non-seulement bien malhabile, mais bien inconséquent avec moi-même, si je m’étais engagé, ne fût-ce qu’un moment, dans la polémique qu’aurait souhaitée de ma part M. Janet. J’ai dit tout à l’heure pourquoi nous n’avons pas la science de l’infini, et comment nous avons cependant la connaissance des grands rayons de lumière qui éclairent la sphère de l’infini et ses grands problèmes. Je suis heureux de me trouver en ceci d’accord avec Platon, Descartes, Bossuet, Leibniz, Reid, et aussi avec ce bon sens général des hommes qui, sans préméditation ni étude, par son seul instinct et sa seule pente, arrive, en fait de philosophie et de théologie naturelle, aux mêmes résultats que les grands philosophes. Je ne crois nullement la philosophie spiritualiste impuissante ni vaine pour la connaissance et la défense de ces premières vérités intellectuelles, morales et religieuses. Je la crois insuffisante pour aller plus loin, et pour établir, répandre et cultiver ces vérités de telle sorte qu’elles pénètrent partout et portent tous leurs fruits, Plus j’ai avancé dans la vie et dans la pensée, plus, au-delà du spiritualisme philosophique, j’ai vu apparaître et s’élever le spiritualisme chrétien.

Il est naturel, il est salutaire, quand on approche du terme, de remonter dans sa mémoire le cours de sa vie, et de lire, pour ainsi dire en soi-même, l’histoire de son âme. On se prépare ainsi au compte suprême qu’on aura à rendre, et il peut arriver que pour d’autres âmes cette histoire ne soit pas sans intérêt et sans fruit.

J’ai reçu une éducation chrétienne, sérieuse par le sentiment, vague dans la foi. En m’amenant à Genève pour y faire mes études, ma mère y trouva les institutions et les pratiques régulières, non plus les passions fortes et les convictions précises de la réforme. Elle était là une tradition permanente, non un feu toujours nourri. Le