Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

ces causes ont, depuis cette époque, ajouté à mes pressentimens chrétiens de 1812 des lumières encore plus pénétrantes et plus concluantes que celles des études historiques. C’est une grande école que le spectacle du gouvernement des hommes, individus ou nations ; c’est là qu’on apprend combien il leur est difficile de se gouverner eux-mêmes, même de se laisser gouverner, et à quelles conditions, par quels moyens, peut s’accomplir l’œuvre du gouvernement individuel ou public. La nature humaine flotte entre la servilité et la révolte ; tantôt les peuples s’empressent à accepter des tyrannies auxquelles ils pourraient aisément résister, tantôt ils repoussent avec une impatience fébrile les plus naturelles exigences et les moindres fautes des pouvoirs qui président à leurs destinées. Au milieu d’une insurrection populaire dans quelques parties des États-Unis contre des mesures votées par le congrès, on engageait Washington à attendre de l’influence des hommes sensés et de la sienne propre la soumission aux lois du pays ; il répondait avec sa vertueuse sagacité : « L’influence n’est pas le gouvernement. » Il aurait pu dire dans quelque autre cas, et il aurait dit, je n’en doute pas, avec le même grand sens : « Le gouvernement ne suffit pas à tout ; il y a des influences dont il ne saurait se passer. » Je rappellerai les paroles de deux hommes qui ressemblaient bien peu à Washington, l’un le plus illustre philosophe de l’antiquité païenne, l’autre le moins scrupuleux des politiques du moyen âge. « Il est plus facile, dit Platon, de bâtir une ville dans les airs que de fonder une société sans religion. » — « Ce qui nous manque, disait Machiavel en parlant du XVe siècle, son propre temps, c’est l’esprit religieux. » De tous les moyens indirects de gouvernement dont les hommes et les sociétés humaines ont besoin, l’influence de la religion est sans contredit le plus nécessaire et le plus efficace. C’est surtout dans les gouvernemens libres que cet allié est le plus nécessaire, car la foi religieuse, force et frein essentiellement libre, est à ce double titre sympathique à la liberté et puissante contre le dérèglement. C’est en grande partie à la présence et à l’action de l’esprit religieux que les pays les plus libres des temps modernes, la Hollande, l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique, ont dû leur énergique résistance tantôt au pouvoir absolu, tantôt à la licence publique, c’est-à-dire le succès tantôt de la liberté, tantôt de la moralité nationale. Et l’esprit religieux qui, en Hollande, en Angleterre et en Amérique, s’est si bien allié à l’esprit politique, et a si puissamment contribué au bon gouvernement de ces pays, il faut l’appeler par son nom, c’est l’esprit chrétien.

Qu’on ne s’y méprenne pas, qu’on ne croie pas s’acquitter envers la religion chrétienne en reconnaissant son utilité morale et sociale, et en en méconnaissant la cause première et décisive. Je le répète, c’est parce qu’elle est essentiellement vraie que la religion chrétienne