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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/39

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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

spontané des aspirations libres et variées et des facultés diverses de toute la nature humaine, ni un grand fait social intimement lié pendant des siècles à toute la vie d’un peuple. C’est un fruit spécial de la curiosité réfléchie et des méditations laborieuses de l’esprit humain ; c’est une doctrine qui passe de penseur à penseur, d’école à école, non la foi permanente et traditionnelle d’une vaste et longue série de générations. Le spiritualisme n’a pas, comme le christianisme, une histoire publique et partout écrite dans les actions, les mœurs, les monumens d’une nation ; nous le rencontrons, nous l’étudions dans les écrits d’hommes éminens ; il n’a pris nulle part le caractère d’une religion professée et pratiquée par des millions d’hommes. Ni son origine, ni sa nature, ne lui permettent d’en acquérir et d’en exercer la puissance. Je serais surpris si M. Janet ne partageait pas à cet égard mon sentiment.

Si j’ai eu tort un moment en en présumant de sa part un autre, s’il ne regarde pas le spiritualisme philosophique comme capable de déployer une influence générale et dominante analogue à celle du christianisme, alors en vérité je m’étonne de ses attaques contre le christianisme. J’ai vu des hommes d’esprit bien ardens à renverser un gouvernement qu’ils croyaient mauvais ; mais ils en avaient en vue un autre qu’ils se promettaient bien meilleur : ils aspiraient les uns à la république, les autres à la monarchie légitime, d’autres à un nouveau système de constitution ; ils ne s’appliquaient pas à détruire sans avoir, dans l’esprit du moins, quelque édifice à construire. Quand les astronomes ou les physiologistes étudient le système du monde ou l’organisation humaine, ils sont parfaitement tranquilles sur le travail de leur pensée ; ils savent que leurs observations scientifiques, quelles qu’elles soient, ne changeront pas le cours des astres ou le jeu des organes de la vie. La réalité est ici hors de l’atteinte de la science ; les systèmes des savans ne peuvent rien sur les faits de la nature. Il en est tout autrement dans le monde moral ; la pensée et l’action, la science et la réalité, se serrent de près et agissent puissamment l’une sur l’autre. Je n’en veux pas moins que la pensée et la science soient libres ; mais, tout en jouissant de leur liberté, c’est pour elles à la fois un devoir et une nécessité de ne pas méconnaître leur délicate situation dans leurs rapports avec les réalités extérieures et vivantes. J’aime et je respecte trop la philosophie pour ne pas la prendre toujours au sérieux ; ce n’est pas la prendre au sérieux que de ne pas lui demander ce qu’elle pourrait, ce qu’elle ferait, si elle devenait la maîtresse des âmes. La croit-on capable de gouverner et de satisfaire la nature humaine ? À la bonne heure, courons-en l’aventure, travaillons à faire faire au spiritualisme philosophique la conquête des esprits et des peuples, qu’il devienne la