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Ils comprennent qu’au lieu d’une population d’esclaves ignorante, grossière, toujours ennemie, ils ont tout à gagner en demandant à des hommes élevés par l’instruction au rang de citoyens un concours qu’ils n’avaient pu jusqu’à présent obtenir que d’une manière incomplète et par l’emploi de moyens violens contraires à l’humanité, à la justice et à la religion.

Ainsi s’opère aux États-Unis un double mouvement qui élève et fortifie la femme dans la famille et affranchit l’esclave dans la société. On a compris qu’il ne suffit pas de reconnaître et de proclamer l’égalité des droits, l’abolition des privilèges, l’admissibilité de tous à toutes les professions, qu’il faut surtout que de pareils bienfaits ne soient pas dangereux ou stériles pour ceux qui les reçoivent, qu’il est nécessaire d’éclairer les intelligences avant de les émanciper et d’armer de résolution et de courage ceux qu’on appelle à supporter le poids des responsabilités de la vie. C’est par une large et complète éducation que les États-Unis ont rendu les femmes capables d’exercer la haute influence qu’elles ont acquise ; c’est par les mêmes moyens qu’ils préparent les affranchis à prendre place parmi les citoyens d’un pays libre.

Si de pressantes nécessités ont à ces deux points de vue hâté les progrès de la raison publique, les résultats obtenus sont de nature à faire apprécier l’efficacité et la puissance de la cause qui les a produits. L’instruction supérieure donnée aux femmes ne doit pas seulement les délivrer de cette tendance à la frivolité et à la vanité qu’on a constatée et peut-être exagérée chez les personnes de leur sexe ; le riche développement de leurs facultés intellectuelles leur a donné le droit d’intervenir dans le gouvernement de leurs familles, dans l’éducation de leurs fils et de leurs filles, et même, d’une manière moins directe, dans la conduite générale d’une société où les hommes sont initiés par elles à ces habitudes de douceur, d’urbanité et de politesse qu’il est difficile de contracter au milieu des spéculations industrielles et dans les luttes journalières des intérêts matériels. D’un autre côté, les écoles où les affranchis reçoivent une éducation scientifique et littéraire ont déjà opéré chez eux une transformation qui deviendra de plus en plus sensible. Qu’il nous soit permis en terminant d’offrir l’exemple donné par les États-Unis comme un motif d’encouragement pour cette phalange d’esprits généreux qui considèrent la diffusion de plus en plus générale des lumières comme la condition essentielle du progrès politique et social.


C. HIPPEAU.