Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devrait être appliqué invariablement ; alors la loi, tenant compte d’un régime qui est une aggravation de la peine, diminuerait d’un quart ou d’un tiers la durée de celle-ci. La grande objection, l’objection administrative que l’on formule contre le système cellulaire, c’est qu’il exige plus de dépenses que le régime en commun. On sait à un millième de centime près ce que coûte un détenu dans les prisons de Paris ; à Saint-Lazare, à Sainte-Pélagie, au Dépôt des condamnés, le prix de revient varie entre 79 et 89 centimes par jour ; à Mazas, il est de 92 centimes 395 millièmes, à la Petite-Roquette de 1 franc 70 centimes 84 millièmes, à la Santé de 2 francs 89 centimes 315 millièmes[1], à la Conciergerie de 1 franc 16 centimes 743 millièmes. En réunissant la somme produite par les frais de toutes les prisons du département de la Seine, on trouve qu’un détenu coûte en moyenne 87 centimes 526 millièmes. L’économie que l’on obtient en utilisant encore les vieilles maisons de Sainte-Pélagie et de Saint-Lazare n’est pas assez considérable pour faire négliger les résultats d’un ordre bien plus élevé qu’on pourrait atteindre en généralisant le système de l’isolement.

L’homme enfermé, dans sa cellule, replié sur lui-même, triplement châtié par le silence et la solitude, mérite qu’on fasse un effort pour le remettre à flot. Là expire le pouvoir de l’administration : elle tire parti des locaux insuffisans qu’on lui livre ; elle veille sur le détenu, s’assure qu’il ne souffre d’aucune des conditions matérielles dans lesquelles il est placé ; mais elle ne peut aller plus loin. Qui prend soin du prisonnier ? qui s’occupe de son âme ? qui vient tâcher de donner à son intelligence une direction honnête ? qui lui apprendra quelque peu à débrouiller l’écheveau confus de ses pensées ? L’aumônier ? Dieu me garde d’en médire. Il y a dans les prisons de Paris des prêtres qui sont des saints et qui accomplissent avec un admirable dévoûment la mission qui leur est confiée ; mais que dit l’aumônier au détenu ? Il lui parle d’un Dieu que jamais le pauvre misérable n’a appris à connaître ; il lui parle d’une morale abstraite dont le sens même n’est pas perceptible pour lui ; il lui parle de l’enfer qui l’attend après sa mort, sans penser que toute sa vie n’a été qu’un véritable enfer. Si le détenu est un hypocrite, il fera semblant d’écouter ; s’il est brutal, il tournera le dos sans répondre. Pour résoudre ce problème très difficile de faire un bien moral aux coupables, il faudrait les instruire et tenter de les améliorer sans les ennuyer. Ne peut-on utiliser les longues heures du soir, si particulièrement pénibles en prison, et faire aux détenus quelques-unes de ces lectures où excelle l’Angleterre ? La chapelle de

  1. Cet excès dans les prix de. la Santé tient à ce qu’on a calculé les premiers frais d’installation : la moyenne ne dépassera pas celle de Mazas.