Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Petite-Roquette, cellulairement disposée pour recevoir un très grand nombre d’enfans, prouve qu’il ne serait pas impossible de construire des classes spéciales où de bonnes paroles, à la fois sérieuses et douces, viendraient réconforter ces âmes débiles.

L’Angleterre, les États-Unis, la Suisse, nous montrent ce que nous avons à faire et dans quelle voie nouvelle il faut courageusement marcher. Là, des œuvres des prisons fondées par des magistrats, des jurisconsultes, des professeurs, des gens du monde, s’occupent incessamment des prisonniers, les visitent, les instruisent, se font maîtres d’école près de ces grands enfans, et doucement, avec une patience que seul peut donner l’amour du bien, font entrer dans ces cervelles atrophiées des notions de morale et de justice qui portent fruit et aident au salut. C’est l’initiative individuelle qui devrait être tentée par la grandeur de la tâche ; n’y a-t-il pas de quoi émouvoir l’émulation des gens de bien et ne peut-on essayer de rétablir ainsi le rachat des prisonniers, que nos pères ont pratiqué avec tant de charité quand les pirates barbaresques enlevaient nos matelots pour les enchaîner aux bancs des galères ? Déjà un magistrat français, M. Edmond Turquet, a obtenu d’excellens résultats dans la maison d’arrêt de Vervins en faisant lui-même des cours aux prisonniers. Les protestans à Paris n’abandonnent pas leurs coreligionnaires détenus ; il les réconfortent, s’ingénient à leur trouver du travail après la libération, et font en sorte d’éloigner d’eux les causes de rechute. Un tel exemple devrait s’imposer. Il est bien à regretter que la commission générale des prisons, qui fonctionnait encore à la veille de la révolution de juillet, n’ait point été reconstituée. Son action avait été très utile ; aujourd’hui plus que jamais, en présence de l’augmentation constante des malfaiteurs et des récidivistes, une institution semblable pourrait, imitant la Société de patronage pour les jeunes détenus, rendre de grands services, suivre d’un intérêt vigilant et sévère l’ancien condamné qui, ayant subi sa peine, a besoin d’être guidé et soutenu pour trouver un travail dont il puisse vivre honorablement. Ces vœux, que nous exprimons avec une, conviction profonde, issue de l’étude même que nous venons de faire, se réaliseront-ils ? Nous n’osons l’espérer. La France est un pays où l’initiative privée ne se manifeste guère qu’en fatiguant le gouvernement de ses demandes. C’est par de telles mesures cependant qu’on arriverait à diminuer le nombre de criminels qui nous menacent de plus en plus, et aussi en créant des colonies pénitentiaires d’outre-mer, en y envoyant sans merci tous les individus convaincus de récidive, et en se rappelant l’admirable parti que l’Angleterre a su tirer de ce genre d’institutions.


MAXIME DU CAMP.