Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire des plus beaux grains pour empêcher l’espèce de dégénérer le prouvent surabondamment.

Dans ses semis de poirier, M. Decaisne est parvenu à faire reproduire par chaque sujet dont il avait semé les pépins la plupart des types de nos races cultivées. C’est donc à l’aide de semis successifs, volontaires ou accidentels, que nos fruits se sont formés ; en les améliorant, on a profité d’une disposition que l’on observe dans toutes les races naturelles. Tel est le point de départ : l’homme se saisit de cette force latente, il la détourne à son usage et parvient à en accentuer les effets en les accumulant ; mais la nature elle-même la possède et la manifeste sous nos yeux, quoiqu’à un moindre degré. Les difficultés qu’éprouve le botaniste à déterminer les limites réciproques des espèces congénères dès que le genre dont elles font partie est compacte et distribué sur un grand espace, ces difficultés sont du même ordre que celles qui arrêtent le pomologue dans le classement de certaines variétés de fruits. Ainsi nos procédés ne diffèrent pas de ceux de la nature ; l’homme n’a fait que s’approprier ceux-ci pour arriver à ses fins ; seulement, dans la race domestique, les circonstances occasionnelles, étant de son fait, sont plus ou moins artificielles et fugitives. La race domestique est donc une espèce créée en vue de l’homme plus rapidement que l’espèce sauvage et par cela même établie sur des bases moins fixes. L’espèce spontanée a dû se faire lentement, sous l’empire de nécessités permanentes, au moyen de la même force inhérente à l’organisme, mais agissant plus sûrement que lorsque l’homme s’en empare pour en profiter. Or, justement parce que l’espèce est l’effet d’une longue série de causes combinées et solidaires dont elle garde l’empreinte et qui sont susceptibles de se réveiller en elle, même après un long sommeil, elle n’a rien d’absolu ; de là les difficultés éprouvées par ceux qui, voulant en faire la pierre angulaire de tout l’édifice de la nature, ne peuvent pourtant s’accorder pour définir en quoi elle consiste.


III

Lorsque, s’élevant au-dessus des particularités, on considère les phénomènes de la vie en eux-mêmes, et non plus pour décrire simplement les êtres qui les personnifient, on ne tarde pas à découvrir un principe général qui embrasse en quelque sorte tous les autres : c’est celui de l’hérédité, force active et impulsive, raison d’être de tout ce qui vit. L’hérédité est proprement une continuation de l’être organisé. Sans elle, il n’y aurait que des personnalités privées de liens réciproques, destinées à périr après un certain temps. Par elle seule, nous concevons de nouveaux êtres possédant des caractères propres et des caractères transmis. L’hérédité, ainsi considérée,