Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour l’Angleterre de se l’approprier. Voici la conduite qu’elles tinrent l’une et l’autre.

L’Angleterre prohibait complètement l’entrée des fils étrangers et défendait, sous les peines les plus sévères, la sortie des machines, afin qu’elles ne pussent servir de modèles à ses concurrens. Elle acheta partout à vil prix des étoupes sans valeur, les fila mystérieusement et les revendit comme fil de long-brin. Le résultat suivit, prompt et décisif. Les bénéfices furent énormes : des usines colossales s’élevèrent comme par enchantement, d’immenses capitaux s’accumulèrent dans les mains des filateurs ; en quelques années, cette nouvelle industrie naquit, se fortifia et s’établit sur des bases inébranlables. La France, au lieu de suivre cet exemple, laissa les fils à la mécanique envahir le marché ; les fils à la main ne trouvèrent plus d’acheteurs, et un cri de détresse s’éleva du sein des campagnes.

Cependant quelques hommes énergiques étaient parvenus, à force de temps, de dépenses, de peines et même de dangers personnels, à introduire pièce à pièce les principales machines anglaises pour en construire de semblables. Des filatures se montèrent et joignirent leur voix à celle des campagnes pour demander, non pas, comme en Angleterre, la prohibition des fils étrangers, du moins un droit d’entrée assez élevé pour protéger leurs humbles commencemens. Si on les eût écoutées, comme elles étaient encore peu nombreuses, on aurait, tout en les aidant, ménagé la transition et adoucir l’agonie de la filature à la main. Malheureusement à cette époque le gouvernement tenait à ménager l’Angleterre, à caresser la Belgique. Bref, après bien des réclamations infructueuses, de nombreux ajournemens, des hésitations sans cesse renaissantes, on se décida tardivement à frapper les fils étrangers d’un droit de 20 pour 100. À ce moment, les fils français étaient du reste absolument prohibés en Angleterre. Ce droit de 20 pour 100 venait trop tard, et n’était pas assez élevé. Les filatures continuèrent à se traîner misérablement, et peut-être même aujourd’hui ne sont-elles pas encore arrivées à une situation véritablement prospère. Voilà d’une part les fruits du système protecteur appliqué avec intelligence et résolution, de l’autre ceux de la liberté imprudemment maintenue. Qu’on juge de quel côté s’est trouvée dans cette circonstance la véritable entente des intérêts du pays.

Le système protecteur a pourtant trouvé chez certains économistes des adversaires décidés qui en contestent le principe même. On lui reproche de gêner la liberté des transactions et de créer des privilèges contraires à l’égalité, de fausser la vocation industrielle des peuples, d’élever l’industrie en serre-chaude et de lui faire un tempérament débile. On l’accuse d’habituer les fabricans à compter