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inconvéniens ; mais tandis que ceux-là sont immédiats, directs, évidens, ceux-ci, les plus graves du moins, ne se font sentir qu’à la longue, d’une manière indirecte. Il en résulte qu’après avoir été d’abord favorable à l’industrie, ce régime arrive tôt du tard à lui devenir onéreux. Si on se donne la peine de suivre attentivement la marche des faits, d’observer le jeu des tarife et d’analyser l’influence qu’ils exercent sur la production, on reconnaîtra, que la protection vend ce qu’on croit qu’elle donne, et qu’un jour vient inévitablement où elle le fait payer trop cher. On m’accusera plutôt d’exagérer les services qu’elle peut rendre que d’avoir cherché à les dissimuler : il me reste à montrer avec la même impartialité le revers de la médaille.

Les adversaires du régime protecteur l’accusent de porter une atteinte grave à la liberté. Cela n’est entièrement vrai qu’en ce qui concerne les marchandises prohibées d’une manière absolue, celle que le consommateur, même en les payant, n’est pas libre de se procurer suivant ses goûts ou ses besoins. Quant aux objets frappés de droits plus ou moins élevés, ils rentrent dans la catégorie des produits indigènes dont le prix est augmenté par les exigences du fisc. Cette augmentation peut aller, il est vrai, jusqu’au point de forcer le consommateur à remplacer un produit étranger par le produit indigène similaire malgré ses préférences personnelles, et il y a là une faible atteinte à la liberté. Toutefois convenons que la liberté de porter un cachemire de l’Inde ou une redingote de drap anglais n’est pas la plus sacrée, la plus inviolable des libertés naturelles du citoyen. Or il n’est aucune de celles-ci qui ne subisse des restrictions sous le prétexte plus ou moins fondé des nécessités politiques et sociales. On ne voit pas bien pourquoi la liberté commerciale en devrait être seule exempte. L’accusation n’a donc pas une très grande portée ; elle subsiste néanmoins dans une certaine mesure.

Le côté fiscal de la protection est une question secondaire. Elle tire sa raison d’être de l’intérêt de l’industrie et non de celui du trésor, car l’élévation des tarifs, comme des impôts de consommation, est plutôt une cause d’affaiblissement pour les recettes. Il n’est pourtant pas superflu de remarquer que les frais de perception des douanes sont énormes sous l’empire de ce système. Avant le traité de commerce avec l’Angleterre, les frais de perception s’élevaient, en France à 12 pour 100 de la recette brute, tandis qu’en Angleterre rabaissement des tarifs les avait fait descendre à 3 pour 100 environ. Comme impôts, les tarifs étaient défectueux en ce sens qu’ils étaient pour le commerce une charge considérable sans autre résultat que de salarier un personnel nombreux, intelligent, actif, dans la force de l’âge, qui consommait sans rien produire, et qui aurait été bien plus utilement occupé à augmenter la production. Il ne saurait en être