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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/975

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de croire à une sorte d’illumination spontanée, comme dans ces cas d’extase assez fréquens où l’on a vu des ignorans parler des langues qu’ils n’avaient jamais apprises. Pourtant, dans un cas curieux cité par Hamilton d’après Coleridge, on a pu suivre fidèlement la trace d’un miracle de ce genre, et l’on est arrivé à se convaincre que l’inspiration prétendue, souvent attribuée au démon, n’était qu’un souvenir inconscient. Une servante d’Allemagne devenue folle mêlait dans son délire des lambeaux de latin, de grec et même d’hébreu ; cependant c’était une fille absolument ignorante qui ne savait pas même lire dans sa langue maternelle. Ces lambeaux, cousus bout à bout, ne formaient ensemble aucun sens ; mais chacun séparément en avait un, et paraissait extrait de quelque phrase régulièrement construite. Or on s’assura qu’elle avait servi chez un vieux pasteur qui avait l’habitude de lire tout haut ses vieux auteurs en se promenant de long en large dans un corridor voisin de la cuisine de cette fille, et, en consultant les livres de sa bibliothèque, on put facilement retrouver soulignés la plupart des fragmens que la folle répétait sans cesse au hasard, et qu’elle avait appris sans s’en douter. Ce curieux phénomène, appelé par les médecins hypermnésie[1], dont il y a d’assez nombreux exemples, mais rarement aussi nets et aussi bien constatés que le précédent, prouve bien que le délire, dont l’hallucination n’est qu’un cas particulier, n’est jamais qu’un désordre de mémoire, et non un égarement spontané. Ce qui le prouve encore, c’est que les hommes naissent idiots, mais qu’ils ne naissent pas fous. L’hallucination n’étant qu’une perversion de la perception, celle-ci ne peut être appelée hallucination, car de quelle autre perception pourrait-elle être considérée comme la perversion et le dérèglement ? On voit que le critérium si souvent demandé entre, le rêve et la perception (que le rêve ait lieu dans le sommeil ou dans la veille), c’est que le rêve est un souvenir dont la perception seule fournit les élémens. Ce serait donc très improprement que l’on appellerait la perception un rêve, puisqu’il est impossible d’imaginer un état dont elle serait elle-même la répercussion et le souvenir.

Terminons par quelques considérations sur les erreurs des sens, question trop vaste pour être embrassée ici dans son entier, mais que nous toucherons par le point qui nous intéresse en ce moment. « Les sens, a dit Descartes, nous trompent quelquefois ; ils peuvent donc nous tromper toujours. » Voilà une condamnation bien sommaire, et il n’y aurait guère de témoin parmi les hommes dont on ne pourrait, à ce titre, récuser l’autorité. D’ailleurs il n’est plus

  1. Surexcitation de la mémoire.