Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
REVUE. — CHRONIQUE.

chissait sans parti-pris, on verrait que jusqu’ici le danger pour la liberté en France a été dans la menace incessante des perturbations, dans les crises violentes qui engendrent les réactions, dans la prétention de ne rien faire tant qu’on n’a pas un gouvernement selon son idéal, La condition première, c’est donc la sécurité garantie, l’ordre matériel maintenu, et, cet ordre une fois assuré, on songerait enfin, avec infiniment plus de chances de succès, à faire passer dans la réalité ces principes de 1789, qui dominent sans doute la société française, mais qui ont si peu pénétré encore dans nos mœurs, dans nos institutions. Voilà l’œuvre d’une opposition intelligente et pratique. M. Ernest Picard est de ceux qui peuvent avoir le rôle le plus brillant dans cette période nouvelle, et parmi cette masse indistincte, mais déjà ébranlée et visiblement libérale qui compose le corps législatif actuel lui-même, croit-on que ces idées resteraient sans influence, qu’elles ne rallieraient pas bien des indécis ?

Nous parlions d’actes politiques : il y en a un tout récent qui émane justement d’un des hommes de ce groupe qui s’est appelé le tiers-parti, c’est une lettre que M. le marquis d’Andelarre a publiée dans un journal de département, M. d’Andelarre, avec un esprit net et ferme, trace tout simplement dans sa lettre le programme d’une politique. Se placer au cœur de la révolution française accomplie et s’y enfermer comme dans une forteresse, accepter de cette révolution u la passion, le système et le but sans en rien excepter, sans en rien réserver que les fautes et les crimes, » faire face à la fois « aux demeurans d’un autre âge » et aux « révolutionnaires nouveaux » qui ne poursuivraient plus que des bouleversemens stériles, que peut-on demander de plus ? quel est le bienfait politique, social, économique, qui ne soit compris dans ce programme ? Ce que nous voulons dire, c’est qu’entre bien des hommes d’origines diverses il y a évidemment accord sur le but ; tout le reste, n’est qu’affaire de nuance et d’acheminement dans l’application. — Mais, dira-t-on, ce programme ne peut se réaliser tant que l’empire est là, l’empire est incompatible avec la liberté, et c’est là le point de division entre les élémens du parti libéral. — On ne voit pas qu’on tourne toujours dans le même cercle, et qu’on veut toujours faire passer la question de gouvernement nominal avant la question de liberté pratique. Quant à nous, nous croyons que l’empire sera bien obligé de se plier à ces conditions nouvelles, nécessaires, et nous le croyons par une raison bien simple, parce qu’il ne pourrait faire autrement, parce que le jour où il reculerait il signerait sa propre abdication ; ce serait lui qui déclarerait son incompatibilité en face d’une France libre, retenant la direction d’elle-même. Le gouvernement ne s’y méprend pas selon toute apparence, et c’est avec cette pensée qu’il se présentera au corps législatif. Il ne peut pas ignorer que sa sécurité résultera bien plus de ce qu’il fera que d’un appareil militaire qui peut être sa défense inexpugnable