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territoire, de vendre ce qui restait des diamans et bijoux de la couronne, et même les drapeaux et canons pris sur l’ennemi. Ces cas nous furent du moins fondus, et on en battit monnaie.

L’expédient le plus énergique et le plus grave fut de mettre à néant la dernière ordonnance du roi comme excessive et inexécutable. La paix le plus tôt possible et à tout prix, tel était l’impérieux besoin et le vœu hautement exprimé de la nation. On savait que le roi ne consentirait jamais à la paix tant que son projet de renverser le roi de Pologne, Auguste II, ne serait pas satisfait. Les membres des états proposèrent donc que la princesse Ulrique fût nommée régente, afin que les cours étrangères pussent traiter avec elle. Certes, en s’engageant sur une pente si dangereuse, les représentans de la nation n’avaient aucun factieux dessein; nul système politique ne les dirigeait, ils obéissaient à la seule pensée de sauver le pays. Autour d’eux cependant, de graves intrigues s’agitaient. Un certain parti opposait à la princesse Ulrique, en vue de la succession, le fils de sa sœur aînée, le jeune duc de Holstein. Ce parti eut le tort d’être servi par des ambitieux, comme le baron de Görtz, destiné à jouer un grand rôle dans les dernières années du règne de Charles XII. Görtz conçut l’espoir d’élever son jeune maître à la couronne de Suède en le mariant à la princesse Anne, fille de Pierre le Grand, et en faisant entrevoir au tsar non-seulement cette couronne pour son gendre, mais les riches dépouilles de la Suède pour lui-même. Des lettres et des missions secrètes furent échangées à ce sujet entre le tsar et la petite cour de Holstein, à qui se joignait cette fois la cour de Danemark, désireuse de pêcher en eau trouble et de se faire donner tout au moins le Holstein en cas de succès. Pierre le Grand paraît avoir été fort alléché; il aurait dépassé même, et de beaucoup, les espérances qu’on lui suggérait, s’il est vrai, comme le rapportent les dépêches du ministre de France[1], qu’il offrit d’abord aux Suédois de traiter directement avec eux après qu’ils auraient déposé Charles XII, et s’il alla même jusqu’à songer à divorcer avec Catherine pour épouser l’héritière de Suède Ulrique-Éléonore. — Tel était l’excès du péril qui menaçait jusqu’à l’existence même de la Suède lorsque, vers la fin de 1714, le bruit se répandit que Charles XII était enfin de retour en Poméranie. Au milieu de la détresse générale, son nom rallia encore les Suédois, et ranima ce qui pouvait rester d’espérances.

Ou nous nous trompons fort, ou ce tableau d’un roi follement insensible aux souffrances de son peuple, à la ruine de sa monarchie, aux dangers de sa couronne, devait faire partie de son histoire.

  1. 9 février 1714.