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Voltaire n’a sur l’état intérieur de la Suède pendant toute cette période que quelques lignes, qui deviennent énergiques, il est vrai, quand il les résume ainsi : « l’espèce d’hommes manquait sensiblement; » mais des rapports de Charles XII avec le sénat, de la conduite de ce corps et des vues qui le divisaient, il ne dit rien; il parle à tort d’un conseil de régence, il ignore absolument et la diète de 1710 et même celle de 1713, de sorte qu’il ne nous donne pas une juste mesure de la démence de son héros et de ce que cette démence entraînait de malheurs après elle.

Que dire enfin des vingt pages où l’auteur entreprend de faire connaître les intrigues de ce baron de Görtz, qui devint, pendant les deux dernières années du règne et de la vie de Charles XII, son unique confident et son ministre absolu? Voltaire, dans son Histoire de Russie, se prétend très bien informé de ces intrigues, pour avoir connu dans sa jeunesse Görtz lui-même, qui avait voulu l’emmener à Stockholm, et pour avoir été de la sorte, assure-t-il, un des premiers témoins d’une grande partie de ces menées. Cependant Lémontey, qui a eu communication de tant de pièces diplomatiques, affirme que Voltaire n’a rien su de toute cette politique. Les deux assertions paraissent excessives, et sans doute aussi il est fort difficile d’arriver à une exacte connaissance d’intrigues si confuses.

Ce qui est indubitable, c’est que le baron de Görtz fut moins un homme d’état qu’un de ces intrigans politiques dont l’activité et l’esprit de ressources, mais aussi l’audace peu scrupuleuse, ont tant agité le XVIIIe siècle. Né en Franconie d’une assez bonne famille, il étudie à Iéna, devient page chez le duc de Holstein, beau-frère de Charles XII, et travaille d’abord à s’établir dans cette petite cour. Il évince le principal ministre, qu’il arrive à remplacer quand la mort du souverain a donné lieu à une régence. Effronté, sceptique, lâche, joueur et débauché, il devient maître absolu à la cour ducale; mais son ambition ne restera pas enfermée dans de si étroites limites. Les affaires du duc de Holstein l’avaient mis en rapport avec Charles XII, à qui il avait plu dès le séjour à Bender. Les prétentions de son maître à la succession suédoise lui avaient ensuite offert une occasion d’intervenir dans les intrigues tramées de plusieurs côtés à ce sujet. Après avoir cruellement desservi Charles XII alors que ce prince paraissait enseveli à tout jamais chez les Turcs, il se présenta de nouveau à lui après son retour dans ses états, afin de prévenir son mécontentement, s’il apprenait ses intrigues auprès du tsar, afin de le séduire et de grandir par lui. Il y parvint en flattant sa passion de guerre et en promettant de lui procurer de nouvelles ressources en hommes et en argent. Seul puissant à la cour de Suède par l’exclusive confiance du roi