Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès le commencement de 1716, sans aucune nomination officielle, sans avoir été naturalisé Suédois, sans avoir prêté aucun serment, Görtz fut-il touché de l’objet proposé à son ambition? Prit-il en pitié le misérable état du pays qu’on lui livrait? Voulut-il procurer à la Suède quelques nouvelles ressources pour rendre possible une paix qui ne fût pas sa ruine? C’est ici qu’il est difficile de décider, tant les documens sont nombreux et confus, tant les intrigues se mêlent et se dispersent dans toute l’Europe. Comme Voltaire l’a remarqué, Görtz paraît avoir voulu profiter de l’inquiète jalousie causée aux puissances par le dessein évident de la Russie de prendre pied en Allemagne et du mécontentement causé à la Russie par leur mauvais vouloir. Il paraît avoir obtenu de Pierre le Grand la promesse d’une paix particulière qui aurait, en échange des provinces baltiques, fait entrevoir la réunion de la Norvège à la Suède avec le rétablissement du roi Stanislas de Pologne, puisque Charles XII y tenait jusqu’à la fin. Que faut-il penser ensuite de ces obscures ententes de Görtz avec Alberoni, et de ces prétendus projets d’expédition suédoise pour rétablir le prétendant en Angleterre? Charles XII et le tsar y étaient-ils pour quelque chose? Il s’en faut que Voltaire soit net sur tout cela. Il nous dit, tantôt, dans son Histoire de Russie, que Görtz en Hollande ne vit point le tsar, tantôt, dans son Charles XII, qu’il fut reçu deux fois par lui; il nous assure, pour ce qui regarde le complot en faveur du prétendant, que Charles XII ne désavoua pas Görtz, tandis que Lémontey prétend avoir lu l’original même de ce désaveu. La vérité est sans doute que Görtz, en quête d’argent pour la Suède épuisée, avait mis à profit les espérances des jacobites en leur promettant un secours qu’ils payèrent à l’avance. Peut-être ne fut-ce pas sa faute si Charles XII, qui ne voulait pas consentir à céder un pouce de terrain, retarda sans cesse l’acceptation d’une paix que son délié ministre avait préparée de concert avec la Russie.

La mort de Charles fit tourner au détriment de Görtz toutes les fautes commises, celles mêmes du roi, auxquelles il avait peut-être voulu apporter un terme et un remède. Tous ses efforts, quels qu’en aient été la pensée et le sens, lui devinrent funestes. Peut-être, en même temps qu’il traitait avec Pierre le Grand, s’était-il vu obligé, pour conserver la confiance du roi de Suède, de prolonger en même temps la guerre; cela fut cause que l’opinion publique n’attribua qu’à lui seul tous les maux de ces dernières années. A l’intérieur, chargé de toute l’administration, il avait hasardé quelques mesures financières analogues à celles que l’Écossais Law tentait parmi nous vers la même époque ; mais Charles XII, toujours à court d’expédiens, déjouait toutes ses combinaisons en violant les règles que