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nistres invariables sont le général Ménabréa et M. Cambray-Digny, à qui une dernière crise a récemment donné deux nouveaux collègues, un magistrat distingué, M. Vigliani, et comme ministre de l’intérieur le marquis Rudini, jeune homme de résolution qui, après avoir été à vingt-deux ans syndic de Parlerme, était il y a peu de jours préfet de Naples. Quel sera devant le parlement le sort du ministère ainsi reconstitué ? On ne peut guère le prévoir, d’autant mieux que la question d’une dissolution éventuelle de la chambre a été une des causes essentielles de la dernière crise. La lutte sera dans tous les cas laborieuse. L’Italie ne reste pas moins dans ses embarras administratifs et financiers, aggravés par cette confusion des partis dans le parlement. Est-ce à dire que ces embarras, si sérieux qu’ils soient, aient un caractère aussi irrémédiable qu’on le dit quelquefois, et qu’ils mettent en danger l’œuvre de la révolution italienne, l’unité elle-même ? C’est une étrange erreur. L’Italie est un de ces pays où tout est en désarroi à la surface et où dans le fond tout est en progrès. Parlement, administration, gouvernement, vont comme ils peuvent ; le pays ne marche pas moins. Ce qui a été fait depuis huit ans est immense. Six mille kilomètres de chemins de fer ont été construits. Le port de Gênes voit chaque jour grandir son commerce. Naples accomplit des travaux considérables. En Lombardie, les caisses d’épargne, dont les dépôts n’étaient en 1858 que de 68 millions, ont vu ce chiffre s’élever à 165 millions. Instruction, travaux publics, production, tout s’est développé dans le cadre élargi d’une nationalité fortifiée. C’est sur ce fondement que repose l’unité représentée par la monarchie constitutionnelle de Savoie, placée également à l’abri des atteintes révolutionnaires et d’un retour offensif d’ancien régime. Sans nul doute, des événemens qui éclateraient en France auraient leur retentissement au-delà des Alpes ; ils ne menaceraient pas sérieusement la mon : irchie constitutionnelle, à qui l’Italie doit vraiment son existence, qui est la condition de son indépendance et de sa liberté, qui peut permettre enfin de réaliser les réformes intérieures, dernière difficulté du régime nouveau.

La vie contemporaine dévore les hommes, et encore y a-t-il des coups plus terribles cent fois que la mort elle-même. Nous venons de perdre des suites d’un de ces coups funestes de la destinée notre collaborateur, notre pauvre ami Eugène Forcade, Il a achevé de vivre ces jours derniers ; en réalité, depuis près de deux ans il n’était plus de ce monde ; il avait reçu l’irréparable blessure, il était tout entier au malheur de se survivre à lui-même. Nous nous souvenons encore de ce cruel moment où, revenant d’Italie il y a vingt mois, il nous apparut tout à coup portant déjà dans le regard le signe des grands naufrages de l’intelligence. Il était parti avec sa bonne grâce accoutumée, content d’aller à Venise assister à l’inauguration du monument funéraire de Manin ; il nous revenait atteint au plus profond de son être, brusquement arrêté dans