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mandarin siamois qui occupait le Cambodge avant l’établissement du protectorat français. — Ses soldats, imitant son exemple, s’emparaient gratuitement sur le marché de ce qui leur était nécessaire. Le roi n’a conservé que ses droits de préséance, et à ce titre c’est par lui que nous avons dû commencer nos visites officielles. Il en était autrement à Sien-Tong ; là, le souverain indigène n’a pas abdiqué ; il dirige encore les affaires, et nous étions perdus sans sa puissante intervention. Appuyé sur lui, M. de Lagrée a pu lutter avec avantage contre la mauvaise volonté du préposé birman, qui, s’obstinant à nous prendre pour des Anglais, retirait un jour ce qu’il avait accordé la veille, niait effrontément ce qu’il venait d’affirmer, et se conduisait comme un homme dans le cœur duquel la haine ne laissait pas de place à la bonne foi. Le roi, au contraire, s’inquiétait peu de notre nationalité et trouvait dans la mauvaise humeur de son surveillant une raison suffisante pour nous traiter en amis. Déterminé à faciliter notre passage malgré l’opposition formelle du Birman, il se décida même à nous appeler chez lui et à écrire la lettre dont le véritable sens nous avait si malheureusement échappé.. Il fit à MM. de Lagrée et Thorel un accueil plein d’une bienveillance cordiale. Tandis que le chef de l’expédition et son compagnon entraient librement chez le roi, dont la femme se plaisait à leur faire apprécier les raffinemens de la cuisine laotienne, ils n’étaient reçus par le Birman qu’avec un appareil menaçant et des démonstrations hostiles. Satisfait des petites humiliations qu’il s’efforçait d’infliger à ceux qu’il prenait pour des ennemis abhorrés, il n’osa pas provoquer un conflit dont l’énergie du roi semblait d’avance accepter tous les risques. L’empereur des Birmans ménage un gros tributaire qui a battu avec ses propres forces le ministre de la guerre de Siam en personne, auquel il a pris un obusier, des pièces de canon et d’autres trophées, et ce prince n’ignore pas que le roi de Siam s’offrirait avec joie pour remplir à sa place le rôle avantageux de suzerain protecteur. Cette rivalité d’influence et le dualisme qui existe dans l’autorité ont singulièrement favorisé le succès de notre voyage. Le résultat des négociations habilement poursuivies par M. de Lagrée assurait notre entrée à Muong-You, et là nous n’étions plus séparés de la Chine que par le petit royaume de Sien-Hong, soumis à un régime particulier.

Ces bonnes nouvelles ne nous parvinrent que fort tard à Muong-Yong. Elles furent précédées d’une série de bruits contradictoires qui autorisaient toutes les hypothèses et légitimaient toutes les inquiétudes. Complètement réconciliés alors avec le fonctionnaire birman éclairé enfin sur notre nationalité véritable, nous avions fréquemment avec lui des entretiens rendus d’ailleurs très