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et la hauteur à laquelle vous l’avez élevé en le tirant d’une condition inférieure. » Il faut ajouter à cela que depuis trente ans M. Le Verrier représente à peu près seul en France l’astronomie planétaire, que ses travaux personnels ont fait époque dans la science, que ses Tables sont adoptées partons les calculateurs, sans excepter ceux du bureau des longitudes. Fort d’une telle situation, on comprend que M. Le Verrier ne se soit point attendu au décret qui le frappe. Il se compare lui-même à Tycho-Brahé, chassé d’Uraniborg par ses ennemis, errant par l’Allemagne et trouvant en Kepler un dépositaire pour les trésors qu’il a sauvés. Les circonstances ne sont pas sans analogie, car Tycho avait soulevé les mêmes récriminations auxquelles a donné lieu l’administration de M. Le Verrier; mais il faut nous hâter de reconnaître que le cas est moins grave aujourd’hui. L’Uraniborg était le seul observatoire qu’il y eût alors, tandis qu’à cette heure on ne manque ni d’observatoires ni d’astronomes. En se retirant, M. Le Verrier a donné à entendre « qu’il lui serait plus facile désormais d’exercer de l’extérieur une influence sur l’Observatoire et d’en obtenir des travaux sérieux. » C’est l’avertissement du Parthe.

La nécessité d’en venir à de telles extrémités est une conséquence de ce malheureux système de centralisation qui sacrifie la province au profit de Paris. Tandis que les autres pays civilisés ont chacun de dix à vingt observatoires publics ou privés, la France en a un, qui absorbe l’argent et les forces disponibles. L’observatoire de Marseille, qui fonctionne depuis quelques années, n’a été jusqu’ici qu’une « succursale » de Paris. Celui de Toulouse lutte depuis vingt ans contre l’invasion de la pluie, et n’a pas de quoi payer un astronome. S’il y avait en France, comme il faudra qu’il y en ait tôt ou tard, un certain nombre d’établissemens indépendans et convenablement dotés, qui pourraient offrir un champ à l’activité des savans que leurs goûts portent vers les sciences d’observation, on n’aurait jamais vu se produire cette situation anormale et intolérable d’une vaste branche de la science convertie en pachalik et mise à la discrétion d’un seul homme. Que reste-t-il à faire? Il faudra d’abord rendre son indépendance à Marseille, où des observateurs exercés, qui ont déjà fait leurs preuves, continueront de découvrir de nouvelles planètes et comètes. Il faudra ensuite s’occuper de Toulouse. Cet observatoire municipal vient de recevoir un grand télescope à miroir argenté, commandé vers 1865 par Petit, le feu directeur, qui, dans la préface de l’unique volume de ses Annales, se plaint de n’avoir pu obtenir en dix-sept ans des volets pour protéger la salle méridienne contre le soleil. L’histoire tour à tour triste et risible de ses luttes est pleine d’enseignemens pour celui qui croirait qu’en France une entreprise scientifique peut compter sur les deniers publics. M. Lambert, qui revient d’une tournée en province, où il a fait quelques centaines de conférences, et qui revient aussi léger d’argent que riche d’expérience, est un autre