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communication, soit par l’Égypte, soit par la Syrie, lui proposa d’entreprendre la reconnaissance de ces pays. Il commença par l’Égypte, et, bien qu’il eût reconnu la possibilité de creuser un canal à travers l’isthme, il ne s’arrêta pas à cette idée à cause de l’énormité de la dépense qu’elle devait entraîner. A ses yeux, la voie la plus pratique consistait à remonter le Nil jusqu’au Caire, et à traverser ensuite le désert jusqu’à Suez, sur la Mer-Rouge. C’est le tracé que suivit plus tard le chemin de fer, avant qu’on lui eût fait prendre la direction d’Ismaïlia.

En quittant l’Égypte, M. Chesney parcourut le littoral de la Syrie pour recueillir différens renseignemens ; il visita Jaffa, Jérusalem, le mont Thabor, le Carmel, Tibériade, Sidon, les ruines de Tyr, Beyrouth, Tripoli, Balbeck et Damas. Il résolut ensuite de traverser le désert d’Arabie jusqu’à la ville d’Annah, sur l’Euphrate, puis de descendre ce fleuve jusqu’à la mer.

L’Euphrate prend sa source dans les montagnes de la Géorgie, aux environs de Trébizonde ; il décrit vers l’ouest un immense demi-cercle à travers l’Asie-Mineure, de façon à se trouver, à la hauteur de la baie d’Antioche, éloigné seulement de 140 milles (225 kilomètres) du littoral de la Méditerranée ; c’est le point où il s’en rapproche le plus. Arrêté dans sa course par une rangée de rochers et de collines, il dévie de sa direction première, fait un coude prononcé vers le sud-est et va se jeter dans le Golfe-Persique, après avoir reçu à Kornah le Tigre, qui forme avec lui un angle très aigu. L’espace compris entre les deux fleuves était l’ancienne Mésopotamie, berceau de l’humanité, et remarquable par les ruines magnifiques dont il est couvert. L’Euphrate est tout entier sur le territoire turc, le Tigre l’est également sur la moitié de son cours ; mais dans la partie inférieure jusqu’à la mer, et après sa réunion avec le premier, il sert de limite entre cet empire et la Perse. C’est cette contrée que M. Chesney se proposa de parcourir, sans autre recommandation qu’une lettre du sultan qu’il avait obtenue par l’entremise de l’ambassadeur d’Angleterre, sir Robert Gordon.

Le 11 décembre 1830, il se mit en route avec une caravane qui se rendait à Bagdad, monté sur un de ces chameaux légers connus dans le pays sous le nom de déluls, et qui sont beaucoup plus rapides que les dromadaires ou que les chameaux ordinaires. Un âne réglait la marche de la caravane, car pendant la route les chameaux ne cessent de s’écarter à droite et à gauche pour brouter le maigre gazon ou les broussailles qu’ils rencontrent. Le premier jour, la caravane n’atteignit pas encore la limite du désert, et les animaux, délivrés de leur charge, purent, pendant quelques heures avant de se coucher en cercle, paître l’herbe du voisinage. Quant aux Arabes, ils soupèrent avec quelques dattes et du pilau.