Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/497

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
491
L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

tions entre elles. « Elle est, disait-il, comme une ancre immobile qui fixe les choses humaines au milieu du tourbillon qui les agite ». Ainsi, même dans cette Grèce légère et railleuse, enivrée d’elle-même, dédaigneuse d’autrui, on était fier de cette patrie nouvelle que la conquête avait imposée, mais qui se faisait accepter par ses bienfaits. Partout on jouissait avec bonheur de la paix, de la sécurité, biens précieux que le monde avait si peu connus encore ; on était plein de reconnaissance pour ce pouvoir qui en assurait la possession, et il n’y avait nulle part d’opposition systématique contre lui.

Au-delà des provinces, sur les frontières menacées de l’empire, se trouvait l’armée ; l’armée aussi était dévouée aux empereurs. On avait beaucoup d’égards pour elle, quoiqu’il ne soit pas vrai de dire, comme on le fait souvent, que l’empire fût alors une monarchie militaire. C’était bien un gouvernement civil qu’Auguste avait voulu fonder, et jusqu’à la mort de Néron l’armée n’eut aucune part dans les affaires publiques. Les chefs obéissaient fidèlement, quoique souvent contrariés dans leurs desseins et punis pour leurs succès encore plus que pour leurs revers. Corbulon, arrêté par un ordre de l’empereur au moment où il allait remporter une victoire, se contentait de dire en se retirant : « Que les généraux d’autrefois étaient heureux ! » L’armée, grâce à sa constitution particulière, échappait encore plus que les provinces au despotisme impérial. Il ne faudrait pas croire, quand on la voit si soumise, si disciplinée, qu’elle fût assujettie à une obéissance tout à fait passive ; cette obéissance avait quelque chose de libre et de spontané qu’on ne retrouve plus dans les armées d’aujourd’hui. La discipline y était sévère, mais il semble qu’elle fut volontairement acceptée. Les soldats se soumettaient sans murmurer aux châtiments les plus rigoureux, parce qu’ils en savaient l’utilité. On raconte qu’après une révolte les prétoriens, qui étaient pourtant les plus mutins de tous, vinrent demander comme une faveur à être décimés. Placés en face d’un danger toujours présent, qu’ils ne pouvaient éviter que par la soumission, ils avaient consenti à faire l’abandon d’une partie de leur indépendance, mais ils ne l’avaient pas livrée tout entière. Ils conservaient quelque droit de se réunir et de délibérer ; il leur arrivait parfois de se choisir des délégués pour exposer leurs griefs au sénat et au prince, et nous ne voyons pas que le prince et le sénat aient refusé de les recevoir. Dans le camp, à côté de la tente du général, s’élève la tribune, et elle est plus souvent occupée que cette tribune du Forum, devenue muette depuis la fin de la république. — Ces discours que les historiens mettent dans la bouche des généraux ne sont pas tout à fait imaginés à plaisir. Si l’on pouvait commander aux soldats, on devait