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Oui, Michel-Ange possède une grâce qui lui est propre, et même de nature fort originale, quoiqu’elle ne soit autre que la suprême expression du genre de grâce découvert et préféré par les Florentins. Les premiers dans les arts plastiques, peut-être par suite de quelque particularité de leur race, les Florentins cherchèrent la grâce dans la sveltesse élégante. Ils s’aperçurent que les formes sveltes se prêtaient mieux que les formes pleines à toutes les attitudes, surtout aux attitudes tourmentées, contournées ou légèrement excentriques que réclame la sculpture d’ornement, supports, cariatides, figures de fontaines, allégories monumentales, et alors, au lieu de demander, comme les anciens, la grâce à l’harmonie de toutes les perfections corporelles, ils la demandèrent à celle de ces perfections qui rend le mieux le mouvement, et qui permet le plus aisément de multiplier les attitudes. Pour atteindre à cette grâce, les Florentins choisirent de préférence l’âge de la première adolescence, âge intermédiaire où le corps a reçu sa pleine croissance sans avoir encore reçu la plénitude de ses formes, et présente une longue ligne droite, légèrement sinueuse, propre à se plier avec souplesse à tous les mouvemens de la vie. Ils amaigrirent les formes et prolongèrent les lignes autant qu’ils purent le faire sans pécher contre la nature, afin que cette élégance cherchée ne rendît impossible aucune attitude, et que l’attitude adoptée, quelque bizarre qu’elle fût, ne nuisît en rien à l’élégance. C’est cette grâce florentine qui éclate avec une variété si extraordinaire dans les figures d’ornement de la chapelle Sixtine. Qui pourrait les oublier, après les avoir vus, ces beaux jeunes gens élancés, aux formes en quelque sorte rapides, tant on les sent prêtes à obéir sans efforts à tous les caprices de l’animal humain, aux postures à la fois familières et bizarres, aux gestes véhémens, celui-ci lançant avec turbulence les pieds contre la paroi, qu’ils ont l’air de vouloir ébranler, celui-là posant à plat une jambe sur l’autre de façon à lui faire mesurer toute la largeur de son corps, cet autre posant le pied droit sur la jambe gauche de manière à permettre au genou de monter jusqu’au menton ? Que le lecteur fasse effort pour se représenter l’étrangeté de cette décoration, unique dans le monde de l’art; unique, non cependant, car elle a été souvent imitée depuis, et il est plus d’une belle œuvre qui n’existerait pas sans les figures de la Sixtine. Pour ne pas sortir du siècle de Michel-Ange, dites-moi si vous n’avez pas pensé aux jeunes gens de la Sixtine lorsque vous avez regardé ces six figures d’adolescens maigres et souples qui composent la fontaine des Tortues sur la place où s’élève l’adorable palais Mattei. Deux Florentins firent cette fontaine; cependant je ne sais si elle existerait sous la forme où nous la voyons, si les deux artistes n’avaient pas connu l’œuvre suprême de Michel-Ange. Guillaume della Porta donna le dessin de