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grande école de scepticisme. En 1866, l’Europe a eu d’instructifs étonnemens; elle a vu la même main détrôner le vieux droit dans la personne de trois princes légitimes et fermer la bouche au nouveau en bâillonnant 200,000 Danois qui ne peuvent oublier qu’on a juré de les rendre au Danemark. En matière de droit international, l’Europe n’admet plus qu’une chose vieille comme le monde, à savoir qu’il y a des puissans et des petits, des habiles et des dupes. Elle admet aussi que les visées ambitieuses d’un prince mystique qui ne croit qu’à sa mission sont bien redoutables quand il se laisse diriger par un ministre sceptique qui a toutes les opinions utiles.

Aux premiers jours de printemps, on voit sortir les papillons; survient-il une brouée, ils disparaissent et se tiennent cachés. C’est ainsi qu’après Sadowa s’est éclipsé brusquement le droit nouveau, qui s’était trop hâté de croire au printemps. Les principes ont été discrédités par l’usage qu’on en a fait, par celui qu’on se propose d’en faire. Ceux qui ont pâti de la paix de Prague ou qui ont sujet d’en redouter les conséquences ont compris qu’il n’y a de possible et de convenable qu’une politique de simple bon sens et de sagesse pratique, décidée à ne point compromettre la paix pour des vétilles, très résolue aussi à ne se point laisser jouer, sachant d’avance où s’arrêteront ses concessions, ne se piquant pas de dogmatiser, prenant conseil de ses intérêts, s’efforçant de les concilier avec les intérêts généraux, et d’avoir pour soi l’opinion publique de l’Europe.

L’Autriche a sa voie toute tracée; il s’agit pour elle de se conserver. Par la constitution nouvelle qu’elle s’est donnée, elle s’est mise hors d’état de revenir sur le passé, de défaire ce qui s’est fait. Le régime dualiste qu’elle expérimente repose sur une sorte d’équilibre intérieur; si elle reprenait pied en Allemagne, cet équilibre serait rompu aux dépens de la Hongrie, et la Hongrie ne le souffrirait pas. En revanche, l’Autriche ne peut souffrir que le midi de l’Allemagne soit transformé en une province prussienne. Qui veut se conserver ne se contente pas de rester chez lui et de clore sa porte; il ne faut pas confondre les frontières d’un pays avec sa ligne naturelle de défense, et ce n’est pas assez de garder la place, il en faut protéger aussi les approches. La Bavière et le Wurtemberg sont les approches de l’Autriche, et sa ligne de défense est sur le Mein. Le jour où Munich serait une ville prussienne, la Bohême et le Tyrol seraient en l’air, et Vienne ne s’appartiendrait plus. Menacée d’un procès en expropriation ou d’un démembrement, que pourrait-on offrir à l’Autriche pour la dédommager? Est-ce avec des Roumains et des Serbes qu’on la consolerait de perdre 6 ou 7 millions d’Allemands ? Ceux qui lui proposent bénévolement de vider les lieux et de se replier à l’est en parlent à leur aise. Une Au-