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triche-Hongrie est l’une des quatre grandes puissances civilisées de l’Occident, une Hongrie-Valachie serait à peine en Europe, et son action dans le monde se bornerait à disputer à la Russie, au milieu d’embarras sans nombre, ces terrains vagues où finit l’Orient, où commence l’Europe.

L’existence de l’Autriche est un intérêt européen. La France le sait bien, elle sait aussi que tout ce qui menace l’Autriche la menace elle-même, elle sait encore que son gouvernement s’est abusé dans ses calculs, elle l’approuve d’en avoir pris philosophiquement son parti, d’avoir fait bonne mine à mauvais jeu, parce qu’après tout erreur n’est pas compte; mais elle désire qu’il ne se trompe pas deux fois. Assurément il y a en France des esprits jaloux qui ont peine à se consoler des succès et des Marengos d’autrui, des esprits courts qui posent hardiment en principe que la France ne peut être grande que si ses voisins sont faibles, des amateurs d’aventures qui convoitent le Rhin, qui rêvent d’attacher aux flancs de leur pays une Vénétie allemande, éternel objet d’inquiétudes et de revendications. Le gros de la nation pense autrement. Consultez le bon sens français, et demandez-lui si la France doit faire la guerre pour mettre à néant les résultats de 1866, pour empêcher qu’il n’y ait dans le nord de l’Europe une Prusse forte, maîtresse de ses mouvemens et du choix de ses alliances, assez puissante pour que désormais il soit impossible de rien régler en Europe sans compter avec elle : le bon sens français répondra que non. Demandez-lui si d’autre part son gouvernement, le cas échéant, devrait s’opposer par la force à l’établissement d’une grande Allemagne fédérative et constitutionnelle, assez unie pour assurer son indépendance contre toute ingérence étrangère et donnant aussi, par ses institutions, des garanties à la paix de l’Europe : il répondra qu’il n’aurait garde, pourvu que cette grande Allemagne s’engage à ne chercher à personne des querelles d’Allemand; mais livrer le centre de l’Europe à une ambition obscure, tortueuse et sophistique, qui refuse de se lier, qui s’applique à ne rassurer personne, et dont le rêve est peut-être de s’étendre de la Baltique à l’Adriatique, voilà ce que le bon sens français ne saurait admettre. Aussi conseille-t-il à son gouvernement d’être attentif et de se joindre à l’Autriche pour dire à la Prusse : « Nous ne discuterons plus vos principes, vous en avez trop; mais vous avez signé un contrat, nous l’interprétons au pied de la lettre, comme il convient. Vous nous avez fait descendre de nos nuages, nous avons pris terre; nous nous en tiendrons avec vous à une politique de légiste ou de procureur. »

Ce n’est pas seulement en France que le traité de Prague a dérangé les idéologues et fait tort aux doctrines. L’Allemagne aussi est désorientée; son ciel est vide, elle n’y trouve plus d’étoile qui