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mens plus précis, plus explicites que les objets fabriqués. Les restes de ses repas, par exemple, nous apprennent tout de suite s’il connaissait ou non les animaux domestiques, quelles espèces il avait su soumettre, s’il était chasseur, pêcheur ou cultivateur ; mais ces restes consistent en quelques débris végétaux, en os le plus souvent brisés, en coquilles disjointes. Pour en découvrir la signification, des recherches détaillées, éclairées par un profond savoir, sont évidemment nécessaires. Des travaux de cette nature complètent sur une foule de points les données exclusivement archéologiques, et permettent de se faire une idée des mœurs, des habitudes, du degré de civilisation des plus anciennes tribus à travers le voile que tant de siècles ont interposé entre elles et nous[1].

On ne sera donc pas surpris que plusieurs membres du congrès aient fait connaître en même temps les objets recueillis par eux et la faune contemporaine. Ainsi M. Roujou, en étudiant l’âge de la pierre polie dans les anciennes alluvions de la Seine, à Villeneuve-Saint-George, près de Paris, a montré le castor, le cerf, le chevreuil, associés au chien, au mouton et à deux races de bœufs, dont l’une, plus grande, semble par sa rareté être au début de son introduction[2]. M. Hildebrand, en décrivant les dolmens de Westergothland appartenant à la pierre polie, a fait voir qu’en Suède les animaux domestiques et sauvages étaient les mêmes que ceux de nos jours. De ces données zoologiques, on peut conclure avec certitude que les hommes ensevelis dans ces deux localités ont vécu depuis que l’ordre de choses actuel a prévalu en Europe, et que par conséquent ils se trouvaient dans des conditions analogues à celles qui nous entourent nous-mêmes. On peut supposer qu’ils ont été du nombre de nos ancêtres immédiats. Au milieu des restes de repas étudiés par M. Fraas dans la Souabe supérieure, ce sont au contraire les espèces des pays froids qui se montrent exclusivement accompagnées de simples couteaux en silex. Le renne, le glouton, le renard polaire, l’ours brun, y sont associés à des hélix, à des mousses arctiques. L’homme qui les a laissés vivait donc tout au plus vers la fin de l’époque où les portions aujourd’hui tempérées de l’Europe avaient le

  1. Je ne puis qu’indiquer ici la plupart des travaux présentés au congrès. En attendant la publication du volume où ils seront reproduits en entier, je renverrai le lecteur à l’excellent résumé fait par un des secrétaires, M. Cazalis de Fondouce. (Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, décembre 1869.)
  2. Le gisement de Villeneuve-Saint-George est très intéressant en ce qu’il présente trois couches répondant : la plus inférieure à une époque intermédiaire entre l’âge du renne et celui de la pierre polie, la moyenne à l’âge de la pierre polie, la plus élevée à l’âge du bronze. Des recherches de M. Roujou, il ressort encore que la Seine a eu pendant tout l’âge de la pierre un cours beaucoup plus large que de nos jours, et n’est entrée dans son lit actuel qu’à l’époque du bronze.