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ques shakos. Chez le gouverneur politico-militar de la province sont rassemblées les municipalités indiennes de tout le voisinage, une centaine d’hommes environ. Même type, même costume que ceux de Luçon; mais ici le matandá ou doyen de la bande, un capitan pasado à cheveux blancs, nous débite en fort bon espagnol un discours assez bien tourné.

La province d’Iloilo renferme près de 600,000 habitans, le chef-lieu n’en a que 10,000; mais les villages sont prospères et très peuplés. Ceux de Molo et de Jaro, dans le voisinage d’Iloilo, ont, l’un 16,000, l’autre 28,000 âmes. A Jaro, nous assistons à un bal donné par un des principales; tous les invités sont des Indiens ou des métis sangleys qui portent avec un grand luxe l’élégant costume du pays, et dansent gravement et non sans grâce nos danses européennes. La maison est illuminée de lanternes chinoises de diverses couleurs; des fleurs et des fruits, en guise d’ornemens, pendent du plafond à hauteur de tête. Après les rafraîchissemens, on nous distribue des bouquets de fleurs artificielles en bois, ouvrages délicats qui ne sont cependant que de prosaïques paquets de cure-dents. Tout l’aspect de la fête est on ne peut plus original, mais l’excès de la chaleur et un parfum d’huile de coco légèrement rance que répandent les lampes et les chevelures des Indiens sont faits pour mettre en fuite l’Européen le plus aguerri.

Moins de deux jours après avoir quitté Iloilo, nous sommes mouillés devant Zamboanga. Dans les environs habite un petit nombre de chrétiens qui paraissent être des colons venus du nord. Les Mores de ces parages sont les sujets du roi de Sibuguey, qui entretient avec l’Espagne des rapports pacifiques; ils sont inoffensifs, et l’on peut sans danger parcourir à d’assez grandes distances les charmans vallons d’alentour. Zamboanga est la résidence d’un gouverneur politico-militar qui a en même temps le titre de commandant-général de Mindanao. Ce poste est rempli par le brigadier[1] don Gregorio Tenorio; il est en ce moment aux bouches du Rio-Grande, occupé à préparer la petite expédition qu’il est chargé de commander. Nous ne tardons pas à l’y suivre. En dix-huit heures de navigation, nous franchissons les deux golfes de Sibuguey et d’Illana, à l’ouvert de la mer des Célèbes, et par une éclatante matinée de mai, nous serrons de près la côte de l’île de Bongo, admirant en passant les lianes qui courent d’un arbre à l’autre et les mille plantes grimpantes qui marient leurs feuillages jusque sur les roches où le flot brise. L’île de Bongo ferme du côté de l’ouest

  1. Brigadier, grade d’officier-général inférieur à celui de maréchal de camp ou général de brigade.