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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/370

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l’entrée de l’anse de Pollok, qui fut choisie, après la prise de Joló, pour y placer un poste avancé, point de départ futur de la conquête du Rio-Grande; les bouches de cette rivière sont situées à 8 ou 10 milles au sud. La rade de Pollok est un excellent port, parfaitement abrité, environné de hautes collines.

Un fortin surmonte le promontoire qui borne la rade du côté sud, et au bord de la mer sont groupées, à côté de sentiers pierreux, une église en bois, des maisons en bambou et quelques échoppes chinoises. Une jetée en bois, qui avance dans le port, a son extrémité couverte par un abri en bambou qui sert de corps de garde, et qu’on nomme dans la langue du pays le pantalan. C’est là qu’on passe ses momens de loisir, car on ne peut sortir du village à moins d’être en nombre et armé. Plus d’un officier a péri à cent pas du fort sous les coups d’un More fanatique qui se cachait parmi les buissons. Telle est, après quinze ans d’occupation, la situation de cet établissement, fondé dans une pensée de conquête. Ce sont du reste les Mores eux-mêmes qui approvisionnent Pollok. Ils y trouvent maintenant leur profit; mais, comme on ne vit que de ce qu’ils veulent bien apporter, ils affameront le village quand bon leur semblera.

Le 6 mai, toute une escadre est réunie dans le port de Pollok : le vapeur de guerre le Patiño, qui a transporté les troupes, la corvette Narvaez, la goélette Valiente et six canonnières. Un mouvement singulier anime cette baie, ordinairement si paisible, et dont les échos ne sont pas accoutumés à des clameurs si bruyantes que le triple viva la reina, qui part de tous les équipages au moment où l’amiral quitte le Narvaez pour se rendre à Cotabato sur la canonnière Aráyat. En une heure, nous atteignons l’embouchure du bras nord du Rio-Grande. Des pirogues en grand nombre, montées par des Mores à demi nus, à l’air sauvage, au type malais accentué, s’écartent rapidement à la vue de la canonnière, et vont s’abriter derrière les palétuviers, au milieu desquels se jouent des troupes de singes.

Cotabato est situé sur la rive gauche du bras nord, et par conséquent dans le delta de la rivière. Les Espagnols s’y sont établis en 1861; un chef des Mores leur en a cédé la possession moyennant une pension de 800 piastres et le droit de continuer à s’intituler sultan de Cotabato : il règne maintenant sur la rive opposée. Seul entre les Mores, il a le droit de pénétrer en armes sur le territoire espagnol, et il traite gravement la reine d’Espagne de cousine. Pendant que nous sommes à dîner dans la caida ou palier de l’escalier, suivant l’usage des Philippines, le « très excellent sultan » vient faire sa visite à l’amiral. Il est petit et grêle; sa bouche est littéralement noircie par le bétel, sa figure est repoussante. Il porte