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un turban malais en soie brodée d’argent, une veste de forme chinoise en soie rose, un pantalon presque collant en damas rouge et blanc à grand dessin, qui ferait de beaux rideaux de salon; ses pieds nus sont passés dans des souliers vernis européens dont il a oublié les lacets. Sans interrompre le repas, on le fait asseoir; il paraît interdit et effrayé, et aux phrases qu’on lui adresse par interprète, il ne répond que par un sourire grimaçant qui découvre son affreuse mâchoire. De temps à autre il se courbe jusqu’à mettre sa tête entre ses jambes pour cracher son bétel sous le canapé qu’il occupe. Les gens de sa suite se sont rangés tout autour de notre table, et nous observent attentivement; l’un porte un kris, épée courte des Malais, l’autre une lance, un troisième s’appuie sur un campilan, grand sabre à lame droite, évasée au bout, et dont la poignée est garnie de crins rouges imitant des cheveux teints de sang; un enfant porte sur l’épaule une boîte d’argent qui contient le bétel du sultan. Après le dîner, ce souverain accepte avec empressement le café qui lui est offert, et un verre d’eau-de-vie trouve grâce devant lui. Tous ces Malais sont des disciples du prophète; on découvre dans leur langue quelques traces de l’arabe; leur chef spirituel, qu’ils nomment tchelif, est un hadji; il a vu la ville sainte et adopté le large turban et la longue robe des musulmans d’Occident. On est surpris de voir ces peuplades barbares conserver des relations avec leur métropole religieuse à trois mille lieues de distance.

L’expédition doit se composer de trois petites colonnes qui forment un total de 1,300 à 1,400 hommes, à savoir: treize compagnies d’infanterie des-régimens indigènes Rey, Fernando-Sétimo et España, et environ 80 hommes d’artillerie avec deux obusiers de montagne et deux petits mortiers. On doit se borner à prendre quatre redoutes, en malais cotas, situées dans un rayon de quelques kilomètres sur la rive droite du Rio-Grande, en face de Cotabato. On n’a sur ces redoutes que les renseignemens les plus vagues; on sait cependant que les deux principales sont appelées Sanditan et Supângan, et que cette dernière n’est pas éloignée d’un estero navigable. Deux des colonnes doivent partir de Cotabato; l’une marche sur Sanditan, l’autre remonte l’estero jusqu’à portée de Supángan dans des falúas remorquées par une canonnière; la troisième part de Pollok. Le brigadier Tenorio se met à la tête de la première, qui doit, après avoir pris Sanditan et une autre cota, se joindre à la seconde. C’est à peine si l’on a pu réunir assez de chevaux pour monter le brigadier, les officiers à ses ordres et les officiers supérieurs. Ce sont des presidiarios ou galériens indigènes, auxquels on a enlevé la chaîne pour l’occasion, qui font le métier de bêtes de somme.