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Le 7 mai, à quatre heures du matin, la diane met tout Cotabato en mouvement. Les troupes, les chevaux, les provisions traversent le fleuve, puis le brigadier et son état-major, et l’on se met en marche. Nous formons un groupe d’une douzaine de cavaliers derrière la compagnie d’avant-garde. La colonne n’est ni éclairée ni flanquée; la route lui est indiquée par un guide indigène. Le sultan de Cotabato a fourni 60 ou 80 auxiliaires, qui forment l’arrière-garde; vêtus et armés comme tous les Mores, ils ne se distinguent de ceux que nous allons attaquer que par des rubans aux couleurs espagnoles qu’on leur a mis en bandoulière; on a fait savoir au sultan que l’on traiterait en ennemi tout More qui ne les porterait pas. Le sol est marécageux, les chevaux enfoncent jusqu’aux jarrets d’abord, puis bientôt jusqu’au ventre; il faut les quitter pour marcher pendant plus d’un kilomètre dans la boue jusqu’aux genoux. Si les Mores avaient su leur métier, c’était le moment de tomber sur nous. Les presidiarios réussissent cependant à traîner la plupart des chevaux au travers du marais, et nous pouvons remonter à cheval lorsque le terrain se raffermit; mais c’est pour entrer dans un fourré de roseaux presque impénétrable, où il faut marcher un par un, les premiers fantassins ouvrant un sentier à coups de crosse. Les roseaux, dépassant de plus d’un mètre la tête des cavaliers, nous empêchent de voir devant nous, et rendent la chaleur étouffante. Nous cheminons le revolver à la main, nous attendant à tout moment à voir paraître des Mores embusqués. Aussi, quand on annonce que les roseaux s’éclaircissent et qu’on aperçoit la redoute, cette nouvelle cause-t-elle une satisfaction générale. En effet, le terrain s’ouvre tout à coup, et nous voyons à environ 500 mètres de distance la cota de Sanditan, au-dessus de laquelle flottent deux drapeaux rouge et blanc. A peine la compagnie d’avant-garde a-t-elle commencé à se déployer, que la redoute ouvre son feu. Le premier boulet qui ronfle au-dessus de nos têtes, à 1 mètre à peine, cause une certaine joie à ceux qui ne s’étaient pas encore vus à pareille fête.

Tandis que la première compagnie s’avance vers une des faces du fort, le brigadier en fait partir une seconde sur sa droite. Au moment où les soldats tagals s’élancent au pas de course en poussant des cris sauvages, un officier reçoit l’ordre d’aller reconnaître le point par lequel il convient d’attaquer la redoute. Je le suis de près; malheureusement mon cheval s’enfonce dans un bourbier, et je l’y abandonne pour rejoindre à pied la colonne, qui déjà s’avançait vers le fort. La mitraille sifflait autour de nous, mais sans nous faire grand mal. Nous arrivons, le revolver au poing, au pied de la cota. Derrière un fossé plein d’une boue profonde s’élève le terre-plein, dont