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caux, et si dans la seconde il ne se produirait pas entre les collèges une étrange disproportion de population et d’étendue. Contre de pareilles mesures, nous réclamons la question préalable, et cela par une raison bien simple : une réforme de ce genre n’est pas une réforme, c’est une pure variante. A quoi remédierait-elle? Empêcherait-elle la plus forte partie des électeurs d’annihiler partout la plus faible? Éteindrait-elle les divisions et les luttes qu’engendre forcément la nécessité, en choisissant un nom, d’en exclure un autre? Restituerait-elle à l’électeur une parcelle de liberté, à l’abstentioniste une ombre d’espoir et de courage? Détruirait-elle enfin cette confusion fatale entre la décision et la représentation qui risque à tout instant de mettre aux mains de la minorité l’exercice de la souveraineté? Non, rien de tout cela. Nous savons bien que les partisans de cette réforme à bon marché prétendent, en multipliant les circonscriptions, multiplier les chances de la minorité; mais quoi? multiplie-t-on une quantité problématique? Or le nombre, la majorité restant toujours dans chaque collège la raison suprême, les chances de la minorité ne sortent pas des limbes de l’arbitraire et du hasard. Nous savons bien encore qu’en fixant définitivement les collèges, on se vante de mettre électeurs et candidats à l’abri des caprices de l’administration. Soit, on ne pourra plus à la veille du scrutin découper les circonscriptions; mais d’abord ce n’est là qu’un des côtés de l’ingérence administrative, et l’ingérence administrative elle-même n’est qu’un des accidens de la maladie; la maladie, c’est le système, qui au fond ne sera pas changé; il n’y aura que quelques députés de plus nommés avec les mêmes dangers et les mêmes injustices. Franchement, pour un pareil résultat, est-ce la peine de toucher à nos institutions?

Il n’importe; bien des gens prennent pour argent comptant ce semblant de réforme, précisément parce que c’est ce qui dérange le moins leur routine. D’autres pourtant paraissent entrer dans nos vues,. « Non, disent-ils, ce n’est point là une modification sérieuse, il faut aller plus loin, il faut faire un changement radical. » Jusque-là, tout va bien ; par malheur, ils ajoutent : « Ce qu’il faut, c’est le suffrage à deux degrés; voilà le vrai système, voilà la panacée. » Ici, plus d’accord possible entre nous.

Constatons-le tout d’abord, ceux qui parlent ainsi n’ont évidemment pas réfléchi, car, à leur propre point de vue, leur réforme est ou impraticable ou souverainement dangereuse. Il n’y a d’une manière absolue que deux façons de comprendre et d’appliquer le suffrage à deux degrés : c’est de la part du gros des électeurs ou un vote de confiance ou un mandat impératif; l’alternative est inexorable. Ou bien la masse populaire, renonçant à l’exercice intégral de son droit