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peintes ne sont pas sorties des combinaisons d’une imagination s’essoufflant à froid, mais d’atomes émanés d’œuvres vivantes. Quand je les vis pour la première fois, je me rappelai un mot qui revient souvent chez, les auteurs chinois pour peindre une belle personne : « les plus précieuses vapeurs de ce monde s’étaient fondues et comme concentrées dans son être. » Seulement les vapeurs qui sont entrées dans la formation des allégories du Dominiquin ne sont point celles de la nature, ce sont celles des belles œuvres produites par le génie humain. La mémoire du peintre riche des souvenirs de tout un siècle d’art a discrètement, à son insu même, aidé son imagination. Les ombres des voluptés éprouvées devant les grandes œuvres se sont mêlées à ses méditations personnelles, et ont enfanté ces irrésistibles figures, rêves par le charme, réalités par la beauté. Si vivantes elles sont, si peu soucieuses de conserver avec précision le caractère abstrait qui les ferait reconnaître à première vue, qu’on peut hésiter pour savoir quel nom leur donner. Cette figure du centre qui lève les bras au ciel d’un geste si ardent en montrant un torse d’un dessin si robuste, est-ce l’espérance, ou n’est-ce pas plutôt la prière désespérée, l’appel à Dieu ? Cette belle guerrière coiffée du casque qui se présente à côté d’elle sur un fond d’une blancheur si musicale, oserai-je dire, est-ce la force, ministre de la justice, ou la sagesse, souvenir de la Minerve armée des anciens ? La foi est facile à reconnaître à ses attributs ; mais quel est le nom véritable de cette femme à la douceur si rayonnante qui lui fait face ? Est-ce la clémence ? est-ce la modestie ou l’humilité ? Plus j’ai regardé ces figures (l’espérance et la force exceptées), plus il m’a semblé que Canova avait dû beaucoup s’en inspirer, lorsque, dans sa jeunesse, avant d’avoir adopté son style grec, il sculpta les deux allégories du tombeau du pape Ganganelli. Mêmes formes pleines, mêmes contours dévisage gracieusement arrondis et non pas allongés en ovale, même beauté franche, même grâce naturelle sans cette mièvrerie et cette prétention à l’idéalité qui furent les défauts de Canova lorsqu’il eut conquis son style définitif.

Les généralités nous trompent souvent, et il est toujours bon de les circonscrire, surtout lorsqu’il s’agit d’une œuvre aussi multiple que celle du Dominiquin. Quand nous disons qu’il est, après Raphaël, le seul peintre qui ait su douer les allégories du charme de la vie, il faut appliquer surtout ces paroles aux six figures de Saint-André-della-Valle. Les quatre figures de la coupole de Saint-Charles a’ Catenari sont aussi fort belles ; mais cette fois ce sont bien de pures allégories, de simples abstractions personnifiées ; si on ne peut leur refuser son admiration, la sympathie ne vole pas vers elles, comme vers leurs rivales de Saint-André-della-Valle.