Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devraient leur servir de pépinières. On gaspille ainsi tout ce que les ruisseaux peuvent renfermer, on mange le bien général en herbe. Pour remédier à cet état de choses, il conviendrait d’organiser une forte et sérieuse surveillance sur tous les points du territoire. L’état, même en admettant qu’il ne rentrât pas dès l’abord dans ses dépenses, serait encore tenu de les faire, tant la question est sérieuse au point de vue de l’alimentation du peuple. L’établissement de cette surveillance générale pourrait d’ailleurs se combiner avec celle des délits communs, avec un service d’avertissemens météorologiques, avec la destruction des ravageurs, insectes, oiseaux ou quadrupèdes sauvages, et avec d’autres services que l’avenir rendra nécessaires ; on pourrait ainsi alléger, en les divisant entre plusieurs services utiles ou nécessaires, les frais d’une armée pacifique de gardiens cantonniers de l’eau. Nous verrons plus tard qu’il reste à l’état un moyen de s’exonérer de cette dépense, s’il ne se sent pas assez sûr de lui pour en accepter la responsabilité.

La contamination des eaux courantes par les matières et déchets de l’industrie doit être comptée parmi les causes de dépeuplement les plus actives. Les populations ont pris la funeste habitude de déverser leurs immondices dans les rivières, dont on fait les sentines, les égouts de la civilisation. Comment cet usage a-t-il pu s’établir ? Dans l’antiquité, au moyen âge même, le travail fut longtemps individuel, les fabriques étaient inconnues, les produits chimiques ignorés ; par conséquent les rebuts, les déchets de toute profession, pouvaient à la rigueur être confiés à la rivière, à ce chemin qui marche et qui les porte loin de la cité ; les poissons, plus nombreux, contribuaient à purifier les eaux en consommant la plupart des détritus qu’elles charriaient. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le nombre des usines dont les résidus empoisonnent nos rivières s’accroît de jour en jour, et les eaux contaminées ne s’assainissent que très lentement par le dépôt des matières dont elles sont chargées. Cet état de choses ne menace pas seulement la santé publique, il est désastreux pour le poisson. Est-il juste que le propriétaire d’une fabrique puisse considérer comme une dépendance de son établissement la rivière, qui appartient à tous, qui est un bien public ? N’oublions pas d’ailleurs que ces déjections qui souillent les rivières sont perdues pour les champs, qu’elles rendraient fertiles. Nous laissons s’en aller à la mer avec les eaux courantes ces précieux phosphates que la terre nous fournit par l’entremise des grains ; les rivières dilapident les trésors amassés par la terre. Nous n’avons qu’un moyen de reconquérir une partie de ces richesses : c’est de multiplier dans nos eaux les poissons, les crustacés, les mollusques, qui nous rendront au moins un peu du phosphore