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aumônes en argent ou en nature qui servaient à leur entretien. De telles ressources étaient illusoires, et les pauvres petits, dès qu’ils pouvaient se traîner sur leurs jambes, s’en allaient mendier par les rues pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim. Lorsqu’ils avaient grandi, qu’ils se sentaient doués d’agilité et d’adresse, ils ajoutaient les chances du vol à celles de la mendicité, et plus d’un enfant qui avait vagi sur le lit de bois de Notre-Dame terminait sa vie en faisant laide grimace en haut d’un gibet. Le parlement s’émut de cet état de choses qui menaçait de devenir de plus en plus douloureux. Pour en diminuer la gravité, il imposa, le 13 août 1552, aux seize seigneurs ecclésiastiques justiciers qui seuls avaient action sur tous les ressorts de Paris, l’obligation de subvenir à l’entretien des enfans trouvés sur leur justice respective, et à cet effet les frappa d’une taxe annuelle dont le produit total était de 960 livres. C’était établir, selon les usages du temps, le domicile de secours que la loi du 24 vendémiaire an II devait fixer plus tard. Alors l’évêque de Paris fonda, pour recevoir les enfans abandonnés sur son territoire, une maison qu’on nomma la Couche, et qu’on éleva entre Saint-Christophe et Sainte-Geneviève-des-Ardens, sur l’emplacement occupé aujourd’hui en grande partie par le bureau central. Ce qui se passait là n’est pas croyable, Comme les ressources dont l’établissement disposait étaient fort limitées, les places y étaient tirées au sort, et les enfans que la fortune n’avait point favorisés étaient rejetés sur le pavé aux hasards de la faim, du froid et de la mort. De plus on y tenait littéralement magasin d’enfans, et l’on en faisait trafic. La marchandise humaine ne coûtait pas cher, un enfant se vendait 20 sous : c’était un prix fixe. A qui vendait-on ces pauvres êtres ? A des nourrices qui, ayant laissé mourir leur nourrisson, voulaient le remplacer, ― à des mendians qui cherchaient un jeune acolyte pour émouvoir Les cœurs charitables, — à des bateleurs qui, choisissant les plus énergiques et les plus forts dans cette mièvre population, leur disloquaient les membres pour en faire des acrobates, ― à des faiseurs de sortilèges, — enfin a des chercheurs de la poudre de projection et de l’élixir de longue vie, qui à leurs drogues ténébreuses aimaient à mêler le sang des enfans encore purs. Cela dura longtemps, jusqu’au jour où Vincent de Paul, voyant un misérable déformer un enfant afin d’en faire un objet de compassion propre à attirer les aumônes, conçut l’idée de la grande institution hospitalière à laquelle son nom est attaché pour jamais, et qui mieux que toutes ses œuvres de piété en a fait un saint réellement populaire et vénéré.

Ce fut en 1638 qu’entraînant Mme Legras, sœur du garde des sceaux Marillac, et Elisabeth Lhuillier, femme du chancelier d’Aligre,