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énervé, oppressé par tant de larmes et d’efforts. Quelques-unes ont plus de malice encore, et, pour empêcher « le petit » de crier, elles lui donnent à sucer un nouet imprégné de laudanum ou d’une décoction de tête de pavot. Si avec un tel régime l’enfant ne meurt pas, c’est un miracle. Tout a été dit ici et ailleurs sur ce sujet, il n’y a plus à y revenir. On a constaté que l’allaitement artificiel était redoutable pour l’enfant, l’allaitement mercenaire ne vaut guère mieux ; les tables de mortalité en donnent tous les ans des preuves singulièrement douloureuses et convaincantes.

Parmi les 6,009 enfans reçus en 1869 à l’hospice des Enfans-Assistés, 4,260 seulement ont été abandonnés ; les autres, 1,749, n’ont été que déposés momentanément pendant que leurs parens ou les personnes qui en prenaient soin étaient à l’hôpital ou en prison. Le nombre des abandons a été à peu près le même pour les huit derniers mois de l’année, il a varié entre 365 pour mai et 310 pour août, qui correspond à décembre, un mois froid, désagréable, obscur et pluvieux pendant lequel on ne sort guère, où les ressources ménagées sont absorbées par les exigences du chauffage et de l’éclairage. Les quatre premiers mois au contraire sont très chargés : janvier 371, février 408, mars 428, avril 383 : ils correspondent aux longues journées, au printemps, à l’été, à mai, juin, juillet, août, aux parties de campagne, aux dîners sur l’herbe, aux promenades dans les forêts voisines de Paris, à toutes les sollicitations de la nature et de la jeunesse. Autrefois la vieille maxime de saint Vincent de Paul, que la charité doit ouvrir les bras et fermer les yeux, était largement pratiquée ; l’abandon pouvait être non-seulement secret, mais absolument mystérieux. Un tour, qui existe encore, quoiqu’il ne serve plus, s’ouvrait près de la porte de l’hospice ; on y déposait l’enfant, on tirait une sonnette d’appel, le tour pivotait sur lui-même, et la maison hospitalière prenait l’enfant sans même chercher à s’enquérir de son origine. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi ; à la suite de longues discussions auxquelles ont pris part toutes les autorités intéressées, le tour a été supprimé par la raison qu’il était une sorte d’encouragement à l’abandon ; cette suppression, que je crois regrettable, a peut-être amené bien des infanticides et bien des avortemens, mais du moins elle a permis, dans le plus grand nombre de cas, d’établir un état civil régulier pour les enfans. On sait donc d’où ils viennent, et l’on peut constater que les vingt arrondissemens de Paris les envoient dans des proportions très différentes. Le nombre de naissances des enfans abandonnés est presque toujours en rapport avec le genre de population. Si le seizième arrondissement, qui comprend Passy et Auteuil, qui renferme beaucoup de petits bourgeois tranquilles, n’a envoyé que 43 enfans, — si le septième, qui a les ministères, l’hôtel des Invalides et