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un grand nombre de couvens, n’est compté que pour 58, — si le second, qui est exclusivement composé de quartiers riches, n’en fournit que 83, nous trouvons en revanche des chiffres très élevés dès que nous passons au quatrième, où s’enchevêtre le réseau des rues mal famées qui avoisinent encore l’Hôtel de Ville, 390, — au sixième, où vit la jeunesse des écoles, 442, — au dixième, qui, comprenant les faubourgs Saint-Martin et du Temple, donne asile à un grand nombre d’ouvriers, 623 ; — enfin nous arrivons au total vraiment considérable de 805 dans le quatorzième, qui, s’allongeant entre la Chaussée-du-Maine et le boulevard d’Enfer, abrite une population composée en partie d’artistes inférieurs, de bateleurs, d’ouvriers sans ouvrage et de coureurs de barrières. Ce ne sont point positivement des marquises et des duchesses qui abandonnent leurs enfans, on peut le croire, et les femmes qui ont ce triste courage appartiennent presque toutes aux plus humbles conditions sociales. Les plus nombreuses sont, — à Paris surtout, où la domesticité est une école permanente de démoralisation, — les servantes et les cuisinières, qui entrent dans la statistique générale pour 1,398. Viennent ensuite les couturières, 917, et les journalières, 418 ; mais des études suivies m’ont prouvé que toutes les fois qu’une femme de mauvaises mœurs est arrêtée en flagrant délit de prostitution clandestine et qu’on lui demande son état, elle ne manque pas, selon qu’elle est plus ou moins jeune, de se dire couturière ou journalière. C’est donc, pensons-nous, à la charge des filles insoumises qu’il faut mettre le chiffre de 1,335, auquel on peut aussi sans risque d’erreur ajouter le contingent de celles qui ont des professions non déterminées, 520, et de celles qui n’ont pas de profession du tout, 135, ce qui donne un total de 1,990 enfans abandonnés par des femmes vivant de débauche. Parmi les corps d’état désignés, le plus réservé est celui de parfumeuse, qui s’arrête au faible chiffre de 3. Le tableau des « causes d’abandon[1] » est sinistre à étudier ; la lâcheté de l’homme y apparaît dans toute sa laideur ; c’est la femme seule, la mère, qui porte tout le poids ; pour elle seule sont la souffrance et la honte. Le mystère tient sa place dans ce lugubre tableau, et l’on peut se livrer à bien des conjectures romanesques en voyant que 24 abandons ont eu lieu parce que la mère était dans la nécessité de cacher la naissance de son enfant.

  1. La principale cause d’abandon, celle qu’on invoque presque toujours, est l’indigence, ou du moins l’impossibilité de subvenir à l’entretien de l’enfant ; 3,321 fois, ce motif a été donné par les mères elles-mêmes ; 340 fois, on a constaté le décès de la mère ; 230 fois, elle a disparu, elle s’est sauvée devant la responsabilité qui lui incombait ; 115 fois, on s’est trouvé en présence d’infirmités si graves que la malheureuse était hors d’état de garder son enfant.