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sera tout au moins des sentimens de la Prusse, ou d’un cercle considérable d’hommes d’université ou même de politiques de Berlin. A vrai dire, tout en reconnaissant les grands mérites de l’auteur, nous ne sommes pas à son endroit sans quelque défiance, et nous n’attendons de lui ni une excessive bienveillance à notre égard, ni même une appréciation très calme du présent et de l’avenir. M. Mommsen est passionné ; la même fougue qui rend son travail si fécond pourra le pousser ici aux extrêmes. Il n’a point dissimulé dans ses écrits historiques un dédain suprême pour ce qui n’est pas, de près ou de loin, le germanisme, et particulièrement pour les civilisations héritières des traditions classiques. Il est connu pour médire avec une ardeur quelquefois intempérante du chauvinisme français, auquel il lui arrive d’opposer, ce qui ne vaut pas mieux, le chauvinisme prussien ; il n’est pas seulement Prussien de nationalité : il est Slesvicois allemand, c’est beaucoup dire.

Son manifeste emprunte un nouvel intérêt à deux circonstances. Il se compose de deux ou trois lettres adressées, par l’intermédiaire de deux gazettes de Milan, aux Italiens, alliés naturels, suivant l’auteur, de la Prusse. Ces lettres sont écrites pendant le courant du mois d’août ; la dernière précède encore Sedan et s’occupe déjà des conditions de la paix, tant il est vrai qu’à une première guerre toute politique en a succédé une autre, la guerre actuelle, dont l’histoire prendra soin de désigner et de blâmer les vrais coupables.

Dès le 10 août dernier, la Perseveranza de Milan insérait une lettre de M. Mommsen s’adressant à l’opinion publique en Italie avec le dessein de la détourner de toute alliance avec nous.


« Nos politiques croient savoir, disait-il, qu’une entente commune est méditée entre le cabinet de Florence et les Tuileries, et qu’on veut faire violence au peuple italien pour l’entraîner dans une guerre contre l’Allemagne, comme on a fait violence au peuple français pour lui imposer la même guerre. Heureusement les bons citoyens se montreront chez vous plus énergiques et plus sages qu’ils n’ont été en France. De la part de votre cabinet, tout est possible ; mais le peuple allemand trouvera, il l’espère, un solide appui, et cette conspiration un obstacle invincible dans la volonté du peuple italien… Je ne sais si la guerre qui commence se fait contre la nation française ou contre ce ramassis d’aventuriers audacieux (quel crocchio di avventurieri arditi) qui, ayant su mettre la main sur le gouvernement de la France, méditent aujourd’hui de soumettre le monde au demi-monde ; il est certain cependant que le peuple français a désiré la guerre, et que le forcené chauvinisme, tout en déplorant les procédés d’inhabile sottise avec lesquels le gouvernement français a voulu nous attaquer, en accepte les conséquences,