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sans les gâter et de les avoir à soi sans être à eux. Ajoutez-y enfin l’absence de tout scrupule, et vous aurez dans César l’homme qui sut le mieux au monde remplir le rôle de chef militaire, et qui éleva ce rôle à la perfection.

Pendant qu’il était en Gaule, Pompée était resté à Rome, se flattant d’y être le maître ; mais il n’avait pas d’armée : sa faiblesse apparut aux yeux de tous, et l’on vit, dans la foule et même dans la haute classe, ceux qui avaient plus ou moins le culte de la force se détourner peu à peu de lui. Au bout de cinq années de stériles efforts pour gouverner Rome, il songea enfin à ressaisir ce qui pouvait seul donner l’autorité, c’est-à-dire un commandement militaire. Il se fit allouer la province d’Espagne avec le droit d’avoir une armée pendant cinq ans. Il est vrai qu’il avait dû compter avec César et Crassus ; le premier s’était fait proroger, pour cinq ans le droit de garder son armée, et le second avait obtenu aussi une province avec des légions et une guerre à entreprendre. De cette façon, il se trouvait à la fois en face de la république trois chefs d’armée. Tant qu’ils furent trois, la république put se tenir debout ; dès qu’il n’y en eut qu’un, la monarchie fut fondée.

Les événemens qui suivirent sont bien connus ; mais on les montre ordinairement sous un faux jour. Avant que César ne s’emparât de Rome avec son armée, Pompée en était le maître avec la sienne, car il n’avait envoyé en Espagne que la moitié de ses légions, et il avait gardé le reste sous les murs de Rome, où il était demeuré lui-même ; pendant quelque temps il eut même une garnison au Capitole et remplit le Forum de ses soldats. Toutefois César, même de loin, le tenait en échec. Il fallait que l’un des deux s’effaçât pour que l’autre fût vraiment maître. Le débat entre eux porta sur ce seul point : lequel des deux serait le premier privé de son armée ? Il était clair que celui des deux qui conserverait la sienne le plus longtemps, ne fût-ce qu’un jour de plus, aurait l’état dans sa main. Pompée, qui disposait du sénat et des comices, se fit prolonger son commandement jusqu’à l’année 45 ; c’était une grande victoire sur César. Celui-ci aussitôt demanda le consulat, non qu’il tînt au consulat lui-même, mais parce que c’était le moyen le meilleur de conserver son pouvoir militaire cinq années au-delà de sa sortie de charge, c’est-à-dire plus longtemps que Pompée. C’est ici que la lutte s’engagea. Durant quelques mois, les deux compétiteurs se disputèrent les suffrages du sénat. A la fin, le sénat, votant en présence de Pompée et sous sa pression, se prononça contre César et lui enjoignit de renoncer à son commandement. César alors se trouva dans la situation de ces ambitieux qui, n’ayant plus rien à espérer de la légalité, ne sont pas non plus retenus par elle, et n’ont plus